dimanche 30 décembre 2018

III/III - Rétrospective 2018 : et si la paix et le multilatéralisme étaient au coeur de 2019 ?

Est-ce que des volontés politiques plus fortes émergeront en 2019 ? Personne ne peut le prédire mais au niveau mondial, il est clair qu'une majorité de pays, essentiellement non-alignés, modérés, puissances moyennes, est inquiète des durcissements des rapports internationaux, des positions "moi, d'abord" des États-Unis et aussi de la Russie. Cela explique sans doute que l'Assemblée générale des Nations unies ait voté fin 2017 et fin 2018 des résolutions convergentes. La première proclame 2019 "Année internationale de la modération" dans le but de faire mieux entendre les voix des modérés par la promotion du dialogue, de la tolérance, de la compréhension et de la coopération. Cette résolution sur la modération a été adoptée malgré l’opposition des États-Unis et d’Israël, ce qui doit faire réfléchir. Deux journées internationales nouvelles ont été crées.  La première décision, adoptée sans vote, proclame le 16 mai « Journée internationale du vivre-ensemble en paix » comme moyen de mobiliser régulièrement les efforts de la communauté internationale en faveur de la paix, de la tolérance, de l’inclusion, de la compréhension et de la solidarité.
La seconde décision, prise en décembre dernier par l’Assemblée générale, proclame le 24 avril « Journée internationale du multilatéralisme et de la diplomatie au service de la paix ». Cette résolution a été la seule de la séance à avoir été mise aux voix, à la demande des États-Unis. Le texte a été adoptée par 144 voix pour et l’opposition des États-Unis et d’Israël.
Enfin, la décennie qui s'ouvre, 2019-2029, sera labellisée "Décennie Nelson Mandela pour la paix".
Journées ou année internationale, d'aucuns ricaneront sur l'inefficacité de ces décisions, sans voir qu'elles manifestent des évolutions d'idées positives qui cheminent de manière parfois peu visible mais bien réelle. Elles vont être utiles notamment au plan local, régional ou national à des dizaines ou centaines d'initiatives petites ou grandes en faveur de la paix, du vivre ensemble, de valorisation de la diplomatie sur la force, permettant ainsi un travail très important d'éducation populaire d'associations et d'individus en faveur du refus de la violence dans les relations internationales.
Ces réflexions sur le vivre ensemble international, sur le multilatéralisme, ne peuvent pas être déconnectées pour les Européens d'échéances très concrètes. Il y aura, bien sûr, le 9 novembre, le 30e anniversaire de la chute du Mur de Berlin qui obligera à continuer le travail de réflexion sur l'échec de l'expérience politique des pays dits communistes, sur la coupure persistante entre deux parties de l'Europe sur un nombre important de problèmes de société. Mais le débat sur l'avenir de l'Europe s'ouvrira bien avant avec la campagne électorale des élections européennes qui auront lieu du 23 au 26 mai. La crise économique, les promesses démagogiques et populistes ont accentué des tendances centrifuges dabs l'Union européenne. En France, le débat sera vif entre "européistes béats" et partisans de la sortie de l'Union ou réformateurs des politiques européennes actuelles sans forcément sortir des traités. Nous y reviendrons en gardant à l'esprit qu'une des leçons principales des deux Guerres mondiales a été de comprendre que leur naissance vient de la division et de l'affrontement des puissances européennes entre elles...
Dans ce débat européen, la question de l'engagement plus fort de l'Europe au service de la paix et de la démilitarisation des relations internationales doit plus émerger. L'Union européenne ne tient pas suffisamment sa place dans l'action politique pour l'interdiction des armes nucléaires, le contrôle beaucoup plus drastique des ventes d'armes, la reconnaissance universelle de la Palestine comme état souverain. Nous sommes à l'heure des voeux. Permettez-moi, en ces dernières journées de 2018, de rêver de pétitions sur ces trois sujets qui rassemblent elles-aussi 2 voire 3 millions de signatures...
Le 30 décembre 2018

II/III - Rétrospective 2018 : paix, développement durable ensemble

2018 a été une année de contrastes, de reculs et d'avancées, illustrant combien l'action des citoyens et citoyennes, des opinions publiques est primordiale aujourd'hui pour faire progresser les solutions aux problèmes de notre planète, qui ne peuvent plus reposer sur la seule action des États. Avec opiniâtreté, l'action pour faire ratifier le traité d'interdiction des armes nucléaires s'est poursuivie : à ce jour, 69 pays l'ont signé et 19 l'ont ratifié sur les 50 signatures nécessaires. Les huit rassemblements organisés en France le 14 octobre sur les sites nucléaires militaires ont eu un succès limité mais ont montré qu'il fallait agir partout pour exiger que la France signe ce traité et prenne des initiatives pour le faire soutenir.
Faire s'exprimer l'opinion publique à des niveaux inédits, c'est ce qu'ont décidé les quatre ONG (Notre affaire à tous, la Fondation pour la Nature et l'Homme (ex-fondation Nicolas Hulot), Greenpeace France et Oxfam) dont la pétition qui vise à soutenir un recours contre l'État français en justice pour qu'il «respecte ses engagements climatiques et protège nos vies, nos territoires et nos droits» va bientôt franchir le cap des 2 millions de soutiens, obtenus en moins de deux semaines.
Agir ensemble dans le cadre de la maison commune des terriens, l'Organisation des Nations unies, est une des leçons, une nouvelle fois, de l'année 2018. Sans l'existence des Nations unies, la difficile question des migrations n'aurait pas pu être abordée de façon sereine et équilibrée comme cela a été fait en décembre à Marrakech. L'Assemblée générale de l’ONU a ainsi ratifié à une très forte majorité le pacte de Marrakech pour des migrations sûres, ordonnées et régulières. Cinq pays seulement ont voté contre : États-Unis, Hongrie, République tchèque, Pologne et Israël. Certes, ce texte n’est pas contraignant. Néanmoins, tout en reconnaissant la souveraineté nationale, il recense une série de principes, comme la défense des droits humains et celle des enfants. Il prône aussi l’interdiction des détentions arbitraires, n’autorisant les arrestations qu’en dernier recours. Plus de 60 000 migrants clandestins sont morts depuis 2000 lors de leur périple, selon l’ONU. En même temps, voyons que 15 % seulement des migrants vivent dans des pays développés. 85% d'entre eux sont déplacées à l’intérieur de leur propre pays ou dans un autre pays en développement.
Résoudre les conflits existants mais aussi faire des progrès dans les objectifs de développement durable promus par les Nations unies, est plus que jamais un immense défi politique pour asseoir des solutions de paix sur des consensus sociaux.
Les taux d’extrême pauvreté ont été réduits de plus de moitié depuis l’an 2000, une réalisation remarquable, certes, mais une personne sur dix dans les régions en développement vit encore avec moins de 1,90 dollar par jour et des millions d’autres ne gagnent guère plus. Des progrès significatifs ont été enregistrés dans de nombreux pays d’Asie de l’est et du sud-est, mais jusqu’à 42% de la population subsaharienne continue de vivre sous le seuil de pauvreté (statistiques de la Banque mondiale). Alors que le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans a baissé dans son ensemble, la proportion des décès est en augmentation en Afrique subsaharienne et en Asie du sud. Quatre décès sur cinq d’enfants ayant moins de 5 ans ont lieu dans ces régions.
En même temps, alors qu'il faut intensifier les financements publics et privés pour atteindre ces objectifs de développement durable d'ici 2030, l’aide publique au développement s’est établie à 146,6 milliards de dollars en 2017, en baisse de 0,6% par rapport à 2016 en termes réels.
Le bilan de l'année 2018 montre clairement que partout, où il y a volonté politique accompagnée de moyens, des résultats positifs significatifs sont obtenus sur la voie de la construction d'un monde vivable, durable et pacifié. C'est un formidable encouragement à agir dans ce monde que l'on présente trop souvent écrasé par le poids des fatalités, des puissances financières ou économiques. Le fameux "YES, WE CAN" révèle encore une fois toute sa potentialité humaine ! (à suivre : III/III - Rétrospective 2018 : et si la paix et le multilatéralisme étaient au coeur de 2019 ?)

I/III - Rétrospective 2018 : conflits, le primat de la politique sur la force

L'année 2018 a été marquée pour les Français, les Européens mais aussi pour les peuples autrefois "coloniaux", par le 100e anniversaire de la fin de la guerre 1914-1918, qui dévasta en grande partie l'Europe et causa plus de 18 millions de victimes.
La célébration à Paris fut civile et non pas militaire, malgré la pression de l'état-major, mais fut entachée par les déclarations inexcusables et scandaleuses du Président de la République, aboutissant à un éloge du traître Pétain. Le Forum pour la paix, souhaité par Emmanuel Macron et organisé les 11-12-13 novembre à Paris aurait pu être une bonne idée, mais son "verrouillage" vis a vis des ONG et de la société civile, la timidité devant des projets trop "subversifs" pour le pouvoir, lui a enlevé beaucoup de sa portée universelle. Ces "cafouillages", pour ne pas dire plus, de la Présidence française ont brouillé le message de soutien au multilatéralisme dans le monde, exprimé par Emmanuel Macron, à la tribune de l'Assemblée générale des Nations unies en septembre, qui s'opposait aux déclamations unilatérales de Donald Trump. Le comportement erratique de ce dernier, annonçant le retrait des USA du Traité INF sur les "euro-missiles", soutenant le président turc Erdogan, s'obstinant dans son projet de mur à la frontière mexicaine, fermant les yeux devant les provocations du président israélien Netanyahou, relançant des sanctions condamnables contres l'Iran, a fait, en partie oublier, ses efforts pour normaliser les relations avec la Corée du nord. La reprise des relations entre les deux Corées est une bonne chose, tout comme le fait que l’Éthiopie et l’Érythrée aient mis fin à 20 ans de conflit, en signant le 9 juillet, une "déclaration conjointe de paix et d’amitié", accord qui met fin à une guerre déclenchée en 1998 et qui a fait près de 80 000 morts. Bonne nouvelle également que le démarrage de pourparlers inter-yéménites, à Stockholm, sous l'égide de l'ONU, entre les rebelles Houthis, appuyés par l'Iran, et les partisans du gouvernement Hadi, soutenus militairement par une coalition menée par l'Arabie saoudite.
Ce conflit a levé un coin du voile sur les dérives des ventes d'armes françaises à ce dernier pays, armes qui auraient été utilisées, selon Amnesty International et l'ACAT, dans le bombardement des populations civiles yéménites, en contradiction avec le traité sur le commerce des armes, signé par la France et qui impose des critères éthiques à tous les transferts d'armements.
Cette question des ventes d'armes françaises aux pays du Moyen-Orient ainsi que les bombardements français sur la Syrie en avril dernier, décrédibilisent la position de la France dans la région. En l'occurrence, celle-ci s'est substituée illégalement au Conseil de sécurité, et n'a rien fait avancer sur le terrain, notamment, la diplomatie française n'a pris aucune initiative pour que l'OIAC (Organisme de contrôle de la Convention d'interdiction des armes chimiques) puisse renforcer son contrôle sur les stocks chimiques, existant encore sur le terrain.
Aujourd'hui, il est urgent de déboucher sur une solution politique en Syrie, en profitant de la défaite militaire des terroristes de Daesh, en discutant et enimpliquant toutes les parties concernées par le conflit, donc aussi avec les Russes, les Iraniens et les autorités actuelles de Damas.
En effet, 2018 a montré encore une fois, au travers des questions de Corée, d'Éthiopie / Érythrée, peut-être du Yémen que seules des initiatives politiques persévérantes peuvent produire des solutions à des conflits. La poursuite des affrontements à Gaza, l'accentuation de la colonisation en Cisjordanie et des agressions de l'armée israélienne, illustrent malheureusement l'échec des solutions de force. Le décès de l'écrivain et militant de la paix israélien, Amos Oz, nous appelle à renouveler l'action pour une solution de paix avec deux états israélien et palestinien, vivant côte à côte avec Jérusalem comme capitale. (à suivre II/III - Rétrospective 2018 : paix, développement durable ensemble)

vendredi 28 décembre 2018

"Construire la paix, déconstruire et prévenir la guerre"

La Fondation Gabriel Péri, le projet PEACE (Université de Caen – Université de Rouen – région Normandie) et la ville d'Ivry-sur-Seine ont le plaisir de vous inviter au colloque de clôture du séminaire sur la paix.


« Construire la paix, déconstruire et prévenir la guerre »

Vendredi 25 et samedi 26 janvier 2019

Espace Robespierre, 2 rue Robespierre, 94200 Ivry-sur-Seine (M°Mairie d'Ivry, ligne 7)
En partenariat avec le projet PEACE
(Université de Caen – Université de Rouen – Région Normandie)
Et la ville d'Ivry-sur-Seine 
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Les guerres, les conflits, occupent le champ d’une actualité qui ignore trop souvent les efforts de paix qui, partout, tentent de les endiguer. Violence et désir de paix, menaces globales et conscience du destin commun, coexistent dans un monde comme jamais incertain. Les logiques de domination économique et culturelle, de militarisation, des «grandes puissances» d’hier et de celles d’aujourd’hui, contredisent les projets et les potentiels considérables de développement humain. Les peurs et le refus de « l’autre » minent l’impératif de solidarité.
L’exigence de paix donne force et légitimité à l’engagement contre les dominations et les discriminations, comme un des fondements de l’effort d’émancipation de l’humanité. L’ambition du colloque est d’explorer ce monde qui aspire à « l'être en commun», dans les conditions d’aujourd’hui, en donnant la parole à celles et ceux qui le portent.


Entrée libre sur inscription nominative préalable : inscription@gabrielperi.fr 

 

Programme


Vendredi 25 janvier :

18h : Accueil
18h30 : Ouverture, Alain Obadia, président de la Fondation Gabriel Péri

18h45-20h30 : Paix et gouvernement du monde nouveau

« Bal des puissances » ou « impuissance de la puissance » : la paix du monde est-elle toujours aux mains des grandes puissances aujourd'hui ? Quelles sont les nouveautés ? L’irruption de nouveaux acteurs, des pays émergents, des opinions publiques change l’équation du jeu international. Quel rôle l’Europe doit-elle jouer ?
Intervenant-e-s :
  • Bertrand Badie, professeur émérite à Sciences Po Paris et chercheur associé au Centre d’études et de recherches internationales (CERI Sciences Po)
  • Luciana Castellina, journaliste, députée européenne (1979-1999)
  • Philip Golub, professeur de sciences politiques, de philosophie politique et de relations internationales à l'Université américaine de Paris (AUP)
  • Birgit Daiber, coordinatrice du réseau Common Good sur le bien commun de l'humanité, membre du Parlement européen (1989-1994), ancienne directrice de la fondation Rosa Luxemburg à Bruxelles. 
  • Luc Mampaey, directeur du GRIP (Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité)
Modération : Daniel Durand, chercheur en relations internationales
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Samedi 26 janvier :

9h30 : Ouverture, Philippe Bouyssou, maire d'Ivry-sur-Seine.

10h-12h : Paix et civilisation

Cette table-ronde revient sur la façon dont le concept de paix est perçu dans plusieurs régions du monde. Selon les contextes et les époques, il a exprimé des réalités différentes, qu’il faut avoir à l’esprit pour pouvoir construire une perspective progressiste à une échelle transnationale.  Outre un tour d’horizon général des conceptions de la paix, certaines interventions reviendront sur une aire particulière (Europe, Afrique, Moyen-Orient…)
Grand témoin : Ibrahima Thioub, historien, recteur de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar
Intervenant-e-s :
  • Makram Abbès, professeur en études arabes à l'ENS de Lyon
  • Guillaume Le Blanc, philosophe, auteur avec Fabienne Brugère de La fin de l’hospitalité - L’hospitalité dans l’histoire
  • Thomas Hippler, philosophe, historien, professeur d’histoire à l’université de Caen
Modération : Patrizia Dogliani, professeure en histoire contemporaine à l’université de Bologne.
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12h-13h30 : Déjeuner
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13h30-15h30 : Paix et mondialisation

La mondialisation peut être une chance pour la paix. De nouvelles légitimités pour la paix délégitiment la guerre. Réchauffement climatique, sur exploitation des ressources terrestres, captation  des terres  et leurs  conséquences : migrations de la misère  et des guerres, cyber guerre,  sont les défis à relever  d’urgence. Comment garantir la paix du monde, lutter contre les inégalités, pour les droits, la démilitarisation et le désarmement aujourd’hui ?
Grand témoin : Youssef Mahmoud, conseiller principal, International Peace Institut (États-Unis)
Intervenant-e-s :
  • Matthieu Calame, ingénieur agronome, directeur de la fondation Charles Léopold Mayer  - "Résurgence des questions agricoles : quelle sécurité alimentaire pour la planète ?"
  • Oumar Dia, philosophe, professeur à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (Sénégal) – "Replis identitaires et menaces sur la paix mondiale"
  • Dr Patricia Lewis, directrice de recherches, Chatham House – Démilitarisation, désarmement et cyber guerre aujourd'hui.                         
Intervention vidéo de Pierre Blanc, professeur de géopolitique à Bordeaux Sciences Agro et Sciences Po – Ruée mondiale sur les terres : quels enjeux pour la paix ? 
Modération : Fabienne Pourre, Fondation Gabriel Péri

15h45-18h : Paix et émancipation humaine

Quel rapport entre Paix et mouvement émancipateur ? En quoi les luttes émancipatrices, sociales et d’autonomisation des individus, des peuples, ont-elles été et sont-elles constitutives de l’établissement de la paix. Poser le primat de la politique sur la force, de la démocratie sur l’oppression et la domination, ouvre le champ d’une conception de la paix, dynamique, comme enjeu, au-delà de la guerre. Mis en perspective, et à partir des luttes d’aujourd’hui, dans leur diversité et leur nouveauté, ce débat s’inscrit dans la réflexion sur les conditions contemporaines de la construction de la paix.
Grand témoin : Dr Julianne Malveaux, économiste et écrivaine (États-Unis)
Intervenant-e-s :
  • Erika Campelo, co-présidente de l’association Autres Brésils 
  • Jean-Louis Sagot-Duvauroux, philosophe, écrivain, dramaturge et scénariste
  • Bernard Thibault, syndicaliste, membre du conseil d'administration de l'OIT
Modération : Daniel Cirera, Fondation Gabriel Péri

18h : Clôture par Jean-Numa Ducange
, historien, maitre de conférence à l’université de Rouen, co-directeur du projet PEACE, membre du Conseil scientifique de la Fondation Gabriel Péri.


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Avec la participation du Mouvement de la paix et du Conseil départemental du Val de Marne 




Pour en savoir plus sur le séminaire "Construire la paix, déconstruire et prévenir la guerre" qui a conduit à l'organisation de ce colloque, consultez la page ici, et les publications : Actes 1 et Actes 2, Les Chemins de la paix aujourd'hui.

lundi 5 novembre 2018

Ne divisons pas les écrivains qui ont combattu la guerre !

Trois grands écrivains français, tous soldats ayant subi les horreurs de la guerre, ont contribué, chacun à leur manière, à (r)-éveiller les consciences sur la tragédie de la Première guerre mondiale : Henri Barbusse, avec "le Feu" en 1916, Prix Goncourt, Roland Dorgelès avec "Les croix de bois" en 1919, prix Fémina, Maurice Genevoix, académicien, avec "Ceux de 14" en 1949, rassemblant cinq récits parus entre 1919 et 1923.
Henri Barbusse a prolongé son oeuvre d'écrivain en s'engageant dans la vie publique, en participant à la création de l'ARAC (Association républicaine des anciens combattants) en 1917, puis, militant communiste, en étant l'animateur du mouvement d'intellectuels pour la paix, dit "comité Amsterdam-Pleyel" en 1933.
Roland Dorgelès, homme de droite, fut président de l’Association des écrivains combattants.
Maurice Genevoix n'eut pas d'engagement militant direct mais son livre "Ceux de 14" constitua une base de référence mémorielle et littéraire pour des générations d'étudiants.
Leur diversité est à l'image de la diversité des français qui, après 1918, ont défendu l'idée de paix entre les hommes et les peuples. Le Président de la République envisage de proposer la "panthéonisation" seulement de Maurice Genevoix. Même si cette intention est respectable dans le sens de renforcer la mémoire de la tuerie de cette Guerre mondiale, elle pourrait diviser la mémoire des écrivains français combattants, ayant témoigné pour la paix, en ne valorisant qu'un seul type d'engagement intellectuel. M. le Président de la République, ne divisez pas la mémoire, prenez une initiative nationale pour honorer TOUS les écrivains combattants, y compris en y associant un quatrième, non-violent et non-combattant certes, Romain Rolland, mais dont le livre "Au-dessus de la mêlée", paru en 1914, interpella beaucoup de consciences, qui reçut le prix Nobel de litterature en 1916 et qui créa plus tard, en 1939, le "Comité mondial contre la guerre et le fascisme" avec Paul Langevin.

Daniel Durand
5/11/18

lundi 22 octobre 2018

Cent ans après 1918 : quelles leçons ? III/III - Un monde dangereux ? La paix a des atouts, utilisons-les!


Depuis quinze ans, la course de vitesse entre « faiseurs de guerre » et « faiseurs de paix » bat son plein.
D'un côté, se construit un monde où les dépenses d’armement vont bientôt doubler les niveaux records du temps de la guerre froide, où la militarisation de zones sensibles comme dans le Golfe persique et l’Asie du sud-est, avec l’accumulation d’armes sophistiquées aux mains de régimes non-démocratiques, s’intensifie, et où, subsiste toujours la menace des armes nucléaires, et le risque de leur prolifération après la démonstration faite par la Corée du Nord.
Parallèlement, les campagnes d’opinion pour la paix de cette décennie ont été fortes : elles ont abouti à la création de la Cour pénale internationale, à un traité de contrôle du commerce illégal des armes, à la mobilisation autour de la COP21 (la Conférence de Paris sur les changements climatiques), enfin à la signature du TIAN, Traité d’interdiction des armes nucléaires. Ces avancées sont des indicateurs des potentialités du mouvement des peuples.
Mais aujourd’hui, nous sommes confrontés au défi que, non seulement, il ne faut pas lever le pied dans les luttes pour un monde de paix mais il est urgent de les renforcer. Il me semble que quatre directions d'actions sont essentielles.

1- Il est nécessaire de poursuivre et amplifier la démilitarisation des relations internationales, notamment le renforcement des traités de désarmement. Ne faut-il pas encore élargir et amplifier un grand courant d'opinion pour faire appliquer le traité d'interdiction des armes nucléaires, bloquer les tentatives de "guerre dans l'espace" et de "cyberguerre" ou de "guerre des robots", geler les dépenses d'armement et les ventes d'armes ?
Rappelons que la Charte de l'ONU, qui est la loi internationale, dit qu'il faut "favoriser l'établissement et le maintien de la paix et de la sécurité internationales en ne détournant vers les armements que le minimum des ressources humaines et économiques du monde" (chapitre V, art 26).

2- Face à l'échec patent de toutes les solutions de forces, mises en oeuvre dans les conflits depuis 2001 (Afghanistan, Irak, Libye, Syrie), donner absolument la priorité au règlement politique des problèmes internationaux, en donnant systématiquement la priorité à l'ONU sur les interventions unilatérales des États, est prioritaire. De nombreux chefs d'États, dont le Président français, ont insisté sur cette nécessité, à l'ouverture de la session de l'Assemblée générale de l'ONU en septembre dernier. Ne faut-il pas isoler davantage encore M. Donald Trump et son attaque en règle contre le multilatéralisme ?

3- Une mobilisation générale de l'opinion, des forces économiques est urgente pour réaliser, avant 2030, les objectifs mondiaux de développement durable, la réduction des inégalités pour finir d’éradiquer la faim, la maladie, l’absence d’éducation dans le monde, notamment en faveur des enfants et des femmes.

4- Ne faut-il pas exiger que soient mis en oeuvre systématiquement dans tous les programmes onusiens, dans les programmes éducatifs nationaux, des volets d'éducation à la paix, à la culture de la paix, à la non-violence pour battre les cultures de guerre et de domination.

Nous vivons une époque difficile mais passionnante, car jamais l’ homme n’a disposé d’autant d’outils (ONU et institutions, droit international, outils citoyens avec la révolution informationnelle) pour agir afin que les humains puissent VIVRE ET TRAVAILLER DIGNEMENT SUR UNE PLANÈTE DURABLE ET PACIFIÉE. Alors, "just, do it !".

Cent ans après 1918 : quelles leçons ? - II/III - 73 ans après 1945 : la résilience de la paix...

Alors que la 2e Guerre mondiale avait éclaté à peine plus de vingt ans après la fin de la 1ère, depuis 73 ans, malgré les affontements des deux blocs pendant la Guerre froide, malgré la création et l'accumulation d'armes toujours plus sophistiquées, le monde n'a pas connu de conflagration mondiale. Il s’est construit une forme de "résilience de la paix". Quelles explications peut-on apporter à ce phénomène ? De multiples raisons peuvent être avancées, j'en proposerai quelques unes.

1/ Cette "résilience de la paix" est inséparable du développement du système multilatéral depuis la fin de la seconde Guerre mondiale : "pas d'ONU, pas de paix".
En effet, si on regarde l’évolution du monde depuis 1945, on constate l’extraordinaire mouvement d’émancipation des peuples : de cinquante pays en 1945, nous sommes passés à 194 aujourd’hui, notamment grâce à la décolonisation.
Tous ces pays réussissent l’exploit de vivre ensemble sous un même toit, les Nations unies, avec des droits théoriquement égaux (un pays, une voix). Il s'agit d'un fait unique dans l'histoire humaine.

2/ C’est inséparable de la constitution progressive sur notre planète, n’en déplaise à Hubert Védrine qui conteste cette réalité, d’une communauté humaine, de plus en plus consciente, dans toute sa diversité : ONG, tissu associatif, mouvements sociaux. Cet ensemble, certes en voie de formation et encore balbutiant, s’est constitué largement grâce à l’existence du système multilatéral onusiens, en soutien ou parfois en opposition, mais toujours en relation avec celui-ci.

3/ C’est inséparable de la production, du développement d’un droit international englobant progressivement tous les secteurs de l’activité humaine,
Alors qu’avant 1945, n’existaient que quelques accords humanitaires (Croix-rouge) et un début d’accord sur le travail (OIT), aujourd’hui, des dizaines d’organismes, des centaines d’accords, de conventions, de traités mondiaux, régionaux, bilatéraux, essaient de gérer les problèmes entre les États, ou entre les humains (FAO, UNICEF, UNRWA pour les réfugiés, PNUD, OMS, etc.).
Le droit international, assis sur la Charte des Nations unies, produit par ces traités divers, progresse régulièrement et s’étend à tous les domaines de la vie. Mais surtout, les opinions publiques, par le biais des ONG, des médias, pèsent de plus en plus sur certains problèmes, leur résolution, leur réglementation, comme nous l’avons vu au moment de la COP21. Depuis, les années 1990, la notion de "droits humains" (pour les enfants, les femmes, le développement) est un élément incontournable des débats du monde. La journée internationale de la paix du 21 septembre dernier a lancé l'idée d'un "droit humain à la paix", 70 ans après le vote de la Convention universelle des droits de l'homme.

4) C’est inséparable du passage en cours, à une échelle  temporelle historique, de l’ordre exclusif des États à un réseau de forces mondial complexe, où on trouve à côté de ces États, des entités non-étatiques : les forces économiques et financières mais aussi les organisations de la société civile, dans leur action concrète, reconnue de plus en plus à côté de celle des gouvernements et des lobbies économiques. Le jeu des interactions, des rapports de force est devenu plus complexe mais joue un rôle de "filet amortisseur" aux comportements égoïstes des États.

5/ C’est inséparable de l’évolution accélérée des nouvelles technologies, particulièrement celles de l’information (de la télévision, aux téléphones mobiles, à internet et aux réseaux sociaux), qui génèrent à la fois des risques de nouvelles dominations, de nouveaux contrôles des citoyens, mais tout autant et même plus, des potentialités nouvelles pour l'intervention individuelle ou collective des humains. Elles décuplent leurs capacités d’influer sur leur destin, comme cela s’était manifesté en 2003 dans la rapidité de constitution du mouvement anti-guerre aux États-Unis (David Cortright), en 1997, avec le succès inattendu de la campagne pour l’interdiction des mines antipersonnel. Le succès de la campagne d'associations anti-nucléaires, ICAN, qui a reçu le prix Nobel de la paix et vient d’aboutir à la signature d’un Traité d’interdiction des armes nucléaires, tient aussi à cette mobilisation des réseaux citoyens appuyés sur les techniques de communication moderne.

Alors, cette "résilience de la paix" signifie-t-elle pour autant que la guerre est écartée, que la situation du monde n'est pas dangereuse ? Évidemment non. Ma démonstration vise simplement à montrer que pour apprécier une situation donnée, il faut aussi être capable de prendre un peu de recul, de "décoller le nez de la vitre", pour comprendre les grandes évolutions de l'histoire.

Cent ans après 1918 : quelles leçons ? I/III - L'échec de la paix dans l'entre-deux guerres

Le centenaire de la fin de la 1ère Guerre mondiale 1914-1918 suscite nombre de recherches et de colloques et interroge un public large, au-delà des historiens et spécialistes. Le président de la République française organise même un "Forum de Paris sur la paix" le 11 novembre prochain. Des questions nous interpellent. Pourquoi la paix n'a-t-elle pas tenu après 1918, alors que tout le monde annonçait la "der des der" ? Paradoxalement, pourquoi sommes-nous toujours en paix, 73 ans après la fin du second conflit mondial en 1945 ? Enfin, les deux premières décennies de ce XXIe siècle, avec la recrudescence des tensions, la hausse brutale des crédits militaires et des ventes d'armes, la crise économique mondiale, ne rappellent-elles pas cette "montée à la guerre" de la fin des années 30 ?
Je livrerai  quelques réflexions sur ces thèmes dans trois articles consécutifs.

I/III - L'échec de la paix dans l'entre-deux guerres

Au lendemain de la fin de l'horrible boucherie de la 1ère Guerre mondiale, le rejet de la guerre est général dans l'opinion publique française. Il s'est cristallisé dès 1916 avec la publication du livre-choc,  le "Feu" de Henri Barbusse, la création en 1917 de l'ARAC (Association républicaine des anciens combattants) dont le slogan central sera le fameux "guerre à la guerre".
Cet attachement à la paix est, en même temps, un sentiment quasiment unanime en France.
Cela marque une différence avec les décennies de l'avant-guerre, où on trouvait dans une partie de la classe politique l'éloge des "vertus la guerre", estimée bonne pour tremper les caractères, voire forger une nation et une communauté de destin.
Ce rejet quasi unanime de la guerre ne signifie pas pour autant que la France est devenue globalement pacifiste car il se fractionne vite en plusieurs courants dès 1920  : le "plus jamais ça" des anciens combattants dont l'Union fédérale, créée notamment par René Cassin (1887-1976), joue un rôle central dans l'opinion, le courant du pacifisme par le droit qui s'exprime par le soutien prioritaire à la création de la SDN (la Société des nations), un courant anti-militariste et anti-impérialiste communiste, un courant pacifiste radical très fort dans la minorité libertaire de la CGT ainsi que dans le Syndicat des instituteurs.
La limite au développement des courants pour la paix se trouve certainement dans le fait qu'il n'y a pas d'élément fédérateur durable, permettant de surmonter les divergences. Le soutien à la Société des nations joue en partie ce rôle jusqu'en 1930 après la signature du traité de Locarno en 1925, qui semble régler la sécurité collective des pays à l'ouest de l'Europe. On parle positivement de "l'esprit de Locarno" et sa cheville ouvrière, Aristide Briand est appelée le "pélerin de la paix".
Mais l'impuissance croissante de la SDN face à certains conflits comme l'Éthiopie et son manque d'universalité (notamment l'absence des États-Unis) l'empêche de jouer ce rôle de pivot de la paix.
La création de mouvements d'intellectuels pour la paix comme le "Comité d'action contre la guerre et le fascisme" en 1932 et 1933, appelé mouvement Amsterdam-Pleyel, pour la création duquel duquel Henri Barbusse joua un grand rôle, essaie de mobiliser les consciences progressistes en France. Il sera un des creusets du futur "Front populaire pour la pain et la liberté" dès juillet 1935.
Mais le montée du fascisme transforme la nature du débat, après 1935 :  fut-il donner la priorité à la lutte anti-fasciste ou à la recherche de la paix ? Ces débats pèsent sur les attitudes politiques qui s'opposent : soutien ou non aux Républicains espagnols lors de la guerre d'Espagne, contre le coup de force de Franco, soutien ou non aux accords de Munich et à la complaisance devant les visées hitlériennes...
Cela explique que dès 1938, les défenseurs de la paix soient désunis et restent sidérés en 1939 devant l'accord Hitler - Staline.
Lorsque la 2e guerre mondiale prend fin en 1945, la situation du monde change radicalement. Elle est maintenant structurée par les deux camps vainqueurs mais opposés : les USA et l'URSS. Il faut tirer les leçons de l'échec de la Société des nations : la Charte créant l'ONU (Organisation des nations unies) donne des moyens d'agir à son Conseil de sécurité. L'organisation regroupe tous les grands pays du monde et continue son universalisation dans le cadre de la décolonisation, elle multiplie la création d'agences qui couvrent tous les domaines de la vie internationale. Une nouvelle période s'ouvre...

vendredi 28 septembre 2018

EMMANUEL MACRON À L'ONU : PRINCIPES OU "COM" ?

Le président de la République Emmanuel Macron s'est exprimé le 25 septembre à la tribune des Nations unies. Son discours s'est voulu beaucoup plus dense et structuré que l'année dernière dans cette enceinte. il reprend et prolonge le discours du 27 août dernier devant les ambassadeurs à Paris. À l'évidence, Emmanuel Macron a voulu en faire un discours fondateur de sa politique étrangère.
UN MULTILATÉRALISME FORT
Celui-ci est construit autour de la défense et illustration d'un "multilatéralisme fort" opposé à "l’unilatéralisme" qui vise, sans le nommer, la politique défendue par Donald Trump, qui "nous conduit directement au repli et au conflit, à la confrontation généralisée de tous contre tous, au détriment de chacun". Pour le président français,  "La loi du plus fort ne protège aucun peuple contre quelque menace que ce soit, qu’elle soit chimique ou nucléaire".
Il a donné l'exemple du débat avec l'Iran et celui du conflit israélo-palestinien. Pour lui, "Qu’est ce qui permettra de régler la crise entre Israël et la Palestine ? Pas des initiatives unilatérales, ni le fait d’ignorer les droits légitimes des Palestiniens pour obtenir une paix durable, ni de sous-estimer le droit légitime des Israéliens à leur sécurité. Il n’y a pas d’alternative crédible à la solution de deux États vivant côte à côte en paix et en sécurité avec Jérusalem pour capitale".
Pour Emmanuel Macron, ce "multilatéralisme fort" doit se construire autour de "trois principes : le premier, c’est le respect des souverainetés, au fondement même de notre charte ; le second, c’est le renforcement de nos coopérations régionales ; et le troisième, c’est l’apport de garanties internationales plus robustes".
Il a renouvelé l'appui apporté l'année dernière à cette tribune au rôle central des Nations unies dans la solution politique des crises, comme en Syrie ou en Libye. Prenant ouvertement le contre-pied des dernières mesures états-uniennes, il a affirmé que "nous soutiendrons les agences qui œuvrent à un projet de paix et d’humanité : l’UNESCO, cette conscience même des Nations unies, le Conseil des droits de l’homme, la Cour pénale internationale, l’UNRWA pour laquelle nous augmenterons notre contribution car je le rappelle ici, il s’agit simplement de permettre à des centaines de milliers d’enfants d’aller à l’école".
Enfin, il a accordé dans son propos une large place à la lutte contre les inégalités dans les monde, comme seul chemin pour renforcer la stabilité mondiale, car pour lui, "qu’est-ce qui fait renaître les nationalismes, le doute sur notre assemblée ? Qu’est-ce qui fait naître partout les crises ? Ce sont ces inégalités profondes que nous n’avons pas su régler".
Cela passe par placer l'avenir de l'Afrique au coeur de cet Agenda "pour que son rôle soit central dans la recomposition du système international. Ce n’est pas seulement sur ce continent que nous gagnerons ou que nous perdrons collectivement notre grande bataille contre les inégalités. C’est avec ce continent".
"ANTI-TRUMP ?"
Avec ce discours, Emmanuel Macron a voulu, devant la communauté internationale se placer comme "l'anti-Trump", l'homme du multilatéralisme et des principes face à l'unilatéralisme et l'égoïsme, reconstruire une image de la France comme pays des valeurs universelles. Cette posture peut aider à empêcher certains États à s'engouffrer dans la brèche ouverte par les États-Unis dans le multilatéralisme, à en conforter d'autres, victimes de la pression politique ou commerciale de Trump, dans leur résistance. C'est sans doute pour encourager cette posture que les Nations unies ont décerné à Emmanuel Macron le titre annuel de "champion de la terre". On peut noter également que la réunion du Conseil de sécurité, le lendemain, a vu un Donald Trump complètement isolé sur la question du nucléaire iranien.
Sa volonté de montrer son soutien au multilatéralisme a amené la président à remettre en cause la prééminence de fait que s'octroie le G7, qui sera présidé par la France en 2019. Il a déclaré, non sans emphase, que "C’est aux Nations Unies que je tenais à dire en premier que cet agenda des inégalités sera au cœur du prochain G7. C’est devant vous aussi que je m'engage à venir rendre compte des résultats du G7 de Biarritz en septembre prochain, parce que le temps où un club de pays riches pouvait définir seul les équilibres du monde est depuis longtemps dépassé. Parce que le destin de chacun des pays qui le composent est indissociable de celui de tous les membres de cette assemblée".

Je suis de ceux qui pensent qu'il faut prendre au sérieux ces positions du Président de la République française, et ne pas les traiter par le petit bout de la lorgnette politicienne, comme je l'ai vu sous la plume de certains commentateurs (un d'entre eux n'hésite pas à écrire que "dans le fond, il partage les analyses du grand frère américain" !).
Il est positif que la diplomatie française sorte des mollesses et des compromissions de la présidence Hollande, ou de l'aventurisme et des foucades de celle de Sarkozy.
Il est positif que la France défende clairement une vision multilatérale du monde, affirme le rôle central des Nations unies et la nécessité de rendre efficace son action pour la paix, contre la pauvreté et les inégalités.
ATTENTION, INCOHÉRENCES ?
En même temps, des questions importantes sont posées. Pour être crédible, la position du président Macron doit résoudre un certain nombre d'incohérences, sous peine d'être traitée de politique du "verbe", voire de la "com" et non de l'action concrète.
Quelles sont ces incohérences ? La première consiste dans le soutien que la France persiste à accorder aux armes nucléaires. Le renforcement du multilatéralisme dans le monde est incompatible avec le maintien du rôle et de l'existence même des armes nucléaires dans le monde. par essence, celles-ci sont des armes de domination politique et militaire qui génèrent les frustrations entre pays dans leur recherche de la sécurité, comme on le voit avec la Corée du nord, Israël ou l'Inde et le Pakistan. Elles favorisent les prétentions des puissants à accorder leur protection, leur "parapluie nucléaire" à des pays "vassaux". Pourtant, Emmanuel Macron a reconnu dans son discours que "La responsabilité de la paix ne se délègue pas, ne se refuse pas, ne se préempte pas, elle s’exerce collectivement. La loi du plus fort ne protège aucun peuple contre quelque menace que ce soit, qu’elle soit chimique ou nucléaire" !
Pour être cohérente et crédible, la France doit opérer un virage politique et travailler concrètement à permettre l'élimination rapide des armes nucléaires. Elle doit prendre des initiatives politiques pour que les pays nucléaires s'associent sous des formes à négocier au processus de signature et de mise en oeuvre du TIAN (Traité d'interdiction des armes nucléaires).
La deuxième non-cohérence réside dans le manque d'articulation entre les propositions d'Emmanuel Macron pour le renforcement de la politique étrangère de l'Europe et son soutien en faveur des Nations unies et du multilatéralisme international. Il serait incohérent et contre-productif de vouloir faire jouer à l'Europe un simple rôle de "pôle de puissance", s'ajoutant et s'opposant aux autres pôles régionaux existants. Il doit y avoir un lien explicite entre toute politique de sécurité et de défense commune européenne et le renforcement du rôle des Nations unies pour la paix et la sécurité internationale. Or, aujourd'hui, Emmanuel Macron découple ces deux approches : il faut donc ouvrir le débat, notamment à la veille des élections européennes.
Troisième grosse non-cohérence : la question de la lutte contre les inégalités dans le monde. La crédibilité du discours présidentiel et celle de son action internationale seront faibles si la politique sociale intérieure du gouvernement français n'est pas corrigée. Celle-ci aggrave au contraire les inégalités dans notre pays, au détriment des retraités, des salariés modestes, des fonctionnaires ! Toute politique de lutte contre les inégalités dans le monde ne pourra réussir qu'en s'appuyant sur des politiques nationales crédibles, y compris dans les pays développés.
Ces quelques réflexions rapides montrent qu'il est nécessaire de mener en France un débat public rigoureux et exigeant, s'appuyant sur l'opinion, pour créer un rapport de forces obligeant le président Macron à ne pas en rester aux proclamations, mais à passer aux actes concrets, et sortir de ses contradictions, ou, s'il ne le fait pas, à éclairer l'opinion publique pour préparer de vraies alternatives.

mercredi 30 mai 2018

Une réflexion sur la paix

Je vous annonce la parution de mon dernier livre : ""1914-1918, cent ans après, LA PAIX !".
Dans ce modeste essai, je livre mes réflexions sur l’'engagement pour la paix hier
et demain.
Je prends un parti-pris : celui de parler de l'évolution du monde en me plaçant du point de la vue de la paix au lieu de le faire  comme tout analyste, "politiquement correct", du point de vue de la guerre.
Au risque de passer pour un doux naïf, je m’efforce de montrer toutes les potentialités nouvelles dont disposent aujourd’'hui les humains pour construire un monde de paix durable.

Vous pouvez dès à présent le commander en ligne sur
https://www.edilivre.com/1914-1918-cent-ans-apres-la-paix-daniel-durand.html/

Il sera en vente en ligne sur Amazon, FNAC.com, Chapitre.com et en commande normale en librairie à partir de mi-juillet.

Vous pourrez suivre l'actualité autour de ce livre, des rencontres et
dédicaces que j'essaierai de tenir, sur cette page Facebook

https://www.facebook.com/Mon-livre-sur-la-paix-610024936041674/

lundi 14 mai 2018

Assez !

Ce lundi 14 mai, à 19 h, les agences de presse annoncent que plus de cinquante civils palestiniens ont été tués par l'armée israélienne, tirés comme des lapins par des soldats-snippers alors qu'ils manifestaient pacifiquement à l'intérieur des frontières de la Palestine, à  Gaza. Par ailleurs, 2 000 autres civils ont eu la "chance" d'être "seulement" blessés au genou ou au talon, tirés eux aussi comme à l'exercice par ces soldats.
Ces manifestants protestaient contre l'inauguration d'une ambassade illégale des États-Unis à Jérusalem. Illégale, car contrevenant à des résolutions comme celle du Conseil de sécurité des Nations unies du 20 août 1980, adoptée par 14 voix pour, aucune contre et une abstention (États-Unis). La résolution affirme que les lois prises par Israël au sujet du statut de la ville sont nulles et non avenues. Elle enjoint aux États membres ayant une représentation à Jérusalem de les retirer.
L'Assemblée générale des Nations Unies a adopté en décembre 2017 une résolution sur le statut de Jérusalem, dans laquelle elle rappelle que « Jérusalem est une question qui relève du statut final et qui doit être régĺée par la voie de la négociation, comme le prévoient les résolutions pertinentes des organes de l'Organisation des Nations Unies ». L'Assemblée générale considère comme « nulle et non avenue » toute décision ou action susceptible de modifier le «caractère, le statut ou la composition démographique » de Jérusalem.
Il est salutaire que le ministre français des Affaires étrangères ait rappelé que "la France désapprouve la décision américaine de transférer l’ambassade des États-Unis en Israël de Tel Aviv à Jérusalem". "Cette décision contrevient au droit international et en particulier aux résolutions du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale des Nations unies". Il a précisé que "Le droit international est sans ambiguïté sur le statut de Jérusalem. Il devra être déterminé dans le cadre de négociations, comme l’ensemble des paramètres internationalement agréés, afin de parvenir à une solution juste et durable, à savoir deux États, vivant côte à côte en paix et en sécurité, ayant l’un et l’autre Jérusalem comme capitale. C’est ce que dit le droit et c’est le sens de nos efforts en faveur de la paix au Proche-Orient".
Le bon sens, le respect du droit international, le coeur et la raison imposent que toutes ces déclarations se transforment en actions concrètes, avec le maximum d'autres pays, notamment l'Union européenne, auprès du Conseil de sécurité et des autres instances internationales pour faire cesser ces actes barbares de l'armée israélienne, pour forcer les États-Unis à revoir leur position. La reconnaissance officielle par la France de la Palestine, comme État souverain, serait un élément diplomatique de poids pour faire bouger les choses. Au Président Macron de montrer qu'il est capable de vrai courage politique et pas seulement médiatique !

mercredi 9 mai 2018

Les limites de la vision du monde d'Emmanuel Macron

Le Président de la République, Emmanuel Macron, a confié dans une interview au Journal du Dimanche du 6 mai, sa vision du monde et des relations internationales aujourd'hui.
Trois semaines après les bombardements aériens français controversés en Syrie, dix jours avec sa séance, à la limite du ridicule, de "brolove" avec Donald Trump, il s'est efforcé de démontrer qu'il maîtrisait le cours des événements, qu'il n'était pas à la remorque des États-Unis, que la sécurité de la France était sa priorité et le multilatéralisme toujours sa boussole internationale.
De fait, la plus grande partie de son interview est constituée par la narration de ses relations avec les grands dirigeants du monde, Trump, Poutine, voire Netanyahu, comme si le multilatéralisme consistait seulement à "parler en même temps avec tout le monde". Le Président Macron détaille, non sans une certaine ingénuité, les brillantes combinaisons stratégiques qu'il élabore avec chacun d'eux : ""remaçonner" la stratégie avec Donald Trump en se focalisant sur le politico-militaire et la lutte contre le terrorisme" car "Donald Trump, je le connais bien maintenant". Quant à Poutine, "Je lui dis donc que je sais, qu’il sait que je sais, qu’il n’y a pas de doutes sur l’issue et que je fais ce que le devoir m’impose". Les décisions de Donald Trump de "soulever le couvercle de la boite de Pandore iranienne" (voir mon article du 24 avril  dernier) malgré les recommandations d'Emmanuel Macron, son attitude insultante envers les victimes française du Bataclan, montrent le dédain du président US envers le partenaire français.
Sur la nécessité du multilatéralisme, Emmanuel Macron semble avoir oublié ce qu'il déclarait en septembre dernier à la tribune des Nations unies : « le multilatéralisme, c'est la règle du droit, c'est l'égalité entre les peuples, c'est l'égalité de chacune et de chacun d'entre nous, c'est ce qui permet de construire la paix et relever chacun de nos défis ». C'est une définition qui dépasse largement le tête-à-tête entre "Grands", cette vieille conception des relations internationales. Bien qu'il fasse une courte référence au Général de Gaulle au début de son interview, le Président Macron oublie justement cette originalité de la politique de De Gaulle : celle d'être capable de s'appuyer sur l'ensemble des peuples, notamment sur les pays non-alignés, pour desserrer l'étau du tête-à-tête entre puissances, comme il le fit lors de son discours de Pnom-Penh en 1966. C'est cette vision qui avait conduit Jacques Chirac et Dominique de Villepin à s'appuyer sur l'ensemble des nations et sur les opinions publiques en 2003, pour s'opposer aux décisions guerrières de George W. Bush en Irak.
Ce glissement progressif d'Emmanuel Macron vers une surévaluation de ses capacités personnelles, dans le seul relationnel direct avec les Grands, décrédibilise les "quatre priorités" qu'il énonce dans le JDD : "la sécurité, ensuite les valeurs, puis les biens communs à commencer par le climat et enfin la stabilité économique pour favoriser nos intérêts commerciaux". Le renforcement de la construction européenne n'y suffira pas à elle seule,comme il le propose.
Concernant la lutte pour les biens communs dont le climat, la Conférence de Paris, COP21, a montré la nécessité de s'appuyer sur la force des opinions publiques, pour surmonter les réticences et les égoïsmes des grandes puissances.
La recherche de la sécurité pose aujourd'hui, plus que jamais, la nécessité de la relance des efforts diplomatiques pour des objectifs de court terme. Il s'agit de reprendre, avec modestie et persévérance, les discussions avec les trois autres membres permanents du Conseil de sécurité, les Européens, les non-alignés, pour isoler Trump et ses soutiens, Netanyahu et les Saoudiens, afin de maintenir l'accord sur le nucléaire iranien, et de contrer les sanctions économiques futures des États-Unis.
Il faut retravailler sans a priori politique avec tous les acteurs régionaux intéressés, dont la Russie et l'Iran, avec au moins une partie de l'équipe gouvernementale syrienne actuelle, pour aboutir rapidement à une solution politique en Syrie, permettant de diminuer les tensions régionales, même si la France sera handicapée par la faute politique des bombardements illégaux d'avril.
À moyen terme, se pose la question de remettre au premier plan de l'agenda, en lien avec les Nations unies et son Secrétaire général, les différentes négociations pour la démilitarisation des relations internationales. Les chiffres des dépenses militaires publiés, il y a quelques jours, par l'institut suédois du SIPRI (1739 Mds de $ en 2017, avec la montée de l'Arabie saoudite et de l'Inde) sont très inquiétants.
Les dernières discussions à Genève dans le cadre du Traité de non-prolifération nucléaire ont montré l'importance d'aboutir, au plus vite, à la tenue d'une Conférence sur la création d'une zone sans armes de destruction massive (ni nucléaires, ni chimiques, ni biologiques) au Moyen-Orient. Ces discussions ont montré également que les pays nucléaires devaient regarder d'un oeil différent et avec plus d'ouverture, le processus de ratification du Traité d'interdiction des armes nucléaires, faute de voir se creuser un fossé préjudiciable dans la communauté internationale.
Il s'agit là, tant dans le court terme que le moyen terme, d'objectifs sérieux, réalisables au prix d'efforts politiques intenses, loin des paillettes de la communication facile, des combinaisons intellectuelles présomptueuses dont les échecs répétés décrédibiliseraient la diplomatie française.

jeudi 26 avril 2018

Armes nucléaires : diviser ou unir ?

Le débat général à la commission préparatoire (Prepcom) de la Conférence d'examen du TNP s'est achevé hier à Genève. Il a finalement été révélateur du fossé qui s'est en partie créé au fil des interventions entre les puissances nucléaires (les P5) et la grande majorité des autres pays. L'audition, hier matin, de quinze représentants de la société civile dont une victime japonaise (une "hibakusha") et les maires d'Hiroshima et Nagasaki, a montré les attentes existant dans le monde.
Après les interventions des États-Unis et de la France que nous avons évoquées dans un article précédent, celles du Royaume-Uni, de la Chine et de la Russie ont montré, à des degrés divers, combien la pression pour faire évoluer les tenants de l'arme nucléaire, devra être longue et multiforme. La Chine a maintenu ses réserves vis a vis du futur Traité d'interdiction des armes nucléaires, en estimant que " Sur la base de la réalité actuelle de la sécurité internationale, le désarmement nucléaire ne pourrait être poursuivi que progressivement, en suivant les principes du «maintien de la stabilité stratégique mondiale» et de la «sécurité non diminuée pour tous», des arguments déjà avancés par la représentante française. Le représentant chinois a quand même fait preuve de plus d'ouverture, en reconnaissant que "la volonté et le droit des États non dotés d'armes nucléaires d'être à l'abri de la menace des armes nucléaires et de la guerre nucléaire doivent être respectés". Il a admis que "Les États dotés d'armes nucléaires devraient faire preuve de volonté politique et prendre des mesures plus concrètes pour s'acquitter de leurs obligations au titre de l'article 6 du Traité".
L'intervention du représentant russe a été beaucoup plus "musclée". Il a été très critique envers les décisions militaires des États-Unis de poursuivre le déploiement de systèmes anti-missiles, de perfectionner "les armes offensives stratégiques" ou d'envisager "de placer des armes dans l'espace".
Il a critiqué très fortement le Traité d'interdiction des armes nucléaires en estimant que "Cette initiative n'apporte aucune contribution à l'avancement vers le noble but déclaré. Tout au contraire, il menace l'existence même et l'efficacité de notre Traité de non-prolifération fondamental".
Ce raidissement des puissances nucléaires est-il productif dans ce qui devrait être un but commun : la construction d'un monde sans armes nucléaires ? Le directeur de la Croix-Rouge internationale leur a rappelé qu'il est "temps qu'ils renoncent aux menaces d'utilisation de l'arme nucléaire et à la modernisation des armements pour se consacrer à la pleine mise en œuvre des engagements qu'ils ont pris par le passé, notamment en 2010, en faveur de la réduction des arsenaux nucléaires, de l'atténuation des risques et, plus globalement, du désarmement nucléaire".
Ainsi que je l'ai écrit, en début d'article, en s'arc-boutant sur le privilège d'avoir des armes nucléaires, les P5 élargissent un fossé, comme l'a fait remarquer dans la séance des ONG, la représentante du réseau ICAN, prix Nobel de la paix : "Ces politiques et pratiques sont une source de grande division et de disharmonie dans la communauté internationale, et nous les condamnons sans réserve. Nous les condamnons parce que les armes nucléaires sont indiscriminées, inhumaines et illégales".
Deux jeunes filles, représentantes des jeunes activistes d'Abolition 2000, ont conclu la séance des ONG  en lançant un appel que chacun devrait méditer : "Aujourd'hui, nous représentons la génération, déterminée à vivre dans un monde sans armes nucléaires, objectif que tout le monde dans cette salle a accepté. Nous ne voulons pas nous asseoir dans votre siège dans dix ans, en nous apercevant que rien n'a changé".
Après les trois jours de séance générale, les journées suivantes sont consacrées à l'examen détaillé des trois "piliers" du TNP : désarmement, énergie nucléaire civile, non-prolifération.
Dans la première de ces séances qui a débuté en fin d'après-midi, l'intervention française, sur laquelle nous reviendrons plus longuement, n'a pas vraiment semblé s'inscrire dans une perspective constructrice. Le rappel des mesures de diminution du nombre des armes nucléaires françaises qui datent des années 1996 (plus de vingt ans !) peuvent-ils convaincre ces jeunes, qui étaient à peine nés alors ! La représentante française s'est également livrée à une attaque en règle du Traité d'interdiction des armes nucléaires, en l'opposant au TNP et aux autres processus de désarmement, tant conventionnels, balistiques ou cyber en cours, alors que son caractère complémentaire, notamment pour permettre la réalisation de l'article VI du TNP semble évident, et en tout cas, l'objectif à atteindre !
Comme cette argumentation semble décalée de cette autre partie de l'appel des jeunes quelques heures plus tôt : "Nous avons besoin de vous, distingués diplomates, pour parler, non seulement des visions d'un monde sans armes nucléaires, mais pour le réaliser. Nous sommes impatients d'être vos partenaires dans notre mission commune de réaliser immédiatement un monde exempt d'armes nucléaires".

mardi 24 avril 2018

Iran : peut-ouvrir sans dommage la boîte de Pandore ?

Il y a des télescopages de calendrier étranges. Ce lundi et ce mardi, à Genève, pendant la Prepcom du TNP, la quasi unanimité des intervenants ont insisté pour dire que l'accord réalisé sur le programme nucléaire iranien était un bon exemple de négociation politique. Le soutien à cet accord de Vienne sur le nucléaire iranien ou "plan d'action conjoint" a été réaffirmé, non seulement par la France, mais aussi par le représentant de l'Union européenne. La Chine a préparé avec la Russie un projet de déclaration commune visant à exprimer le soutien de la conférence à ce plan. Pour la Russie, l'accord conclu entre les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, plus l'Union européenne et l'Iran,  est "une combinaison unique de mesures développées dans le cadre du Conseil de sécurité de l'ONU et des mécanismes de l'AIEA, qui a fait ses preuves". Seul le représentant des États-Unis avait fait des réserves lundi. L'annonce, ce mardi à Washington, des présidents Trump et Macron de "travailler à un nouvel accord plus large avec l'Iran" qui viserait à bloquer toute activité nucléaire iranienne jusqu’en 2025, empêcher à plus long terme toute activité nucléaire, stopper les activités balistiques de l’Iran et créer les conditions d’une stabilité politique dans la région, risque d'être le point central des discussions dans les couloirs à Genève ce mercredi.
L'annonce unilatérale par deux chefs d'État de modifier un accord alors que celui-ci n'avait pu aboutir, qu'après de longues discussions avec toutes les parties intéressées, en prenant en compte toutes leurs préoccupations, pose un énorme problème diplomatique ! La France vient ainsi de se repositionner en "donneuse de leçons", aux côtés d'un homme dont les humeurs fantasques font tressaillir jusqu'à l'ancien chef du FBI ! Peu d'observateurs penseront que le Président français a fait changer d'avis Donald Trump, beaucoup estimeront que les concessions sont du côté de M. Macron.
Qu'espère celui-ci en échange ? Pense-t-il pouvoir jouer de la proximité affichée avec le président américain pour gagner en stature internationale, voire infléchir les positions US sur certains dossiers ?
On ne peut s'empêcher de penser à un autre jeune chef de gouvernement, brillant, à l'avenir prometteur, qui, en 2002 et 2003, avait choisi de s'aligner sur le président Bush, en devenir le "meilleur ami" pour infléchir sa politique, disait-il. Il n'a pu empêcher alors les États-Unis d'envahir l'Irak en 2003 et le brillant Tony Blair, puisque je parle de lui, est devenu, pour une partie de l'opinion publique britannique, le "caniche de Bush".
Je ne pense pas que se joue aujourd'hui un "2003 à l'envers", bien que le bombardement "occidental" sur la Syrie ait déjà suscité cette référence. Mais il est clair que Emmanuel Macron n'a pas envoyé un bon signal à la communauté internationale. L'accord de Vienne sur l'Iran était un bon accord, un exemple d'accord politique ; en le fragilisant sous prétexte "d'élargissement", on risque de fragiliser toutes les démarches et négociations politiques, et valoriser à l'inverse les attitudes unilatérales et interventionnistes ! Ce mardi, à Genève, on a senti dans l'intervention du représentant russe une colère, de moins en moins contenue, face au pressing des occidentaux sur tous les aspects de la politique russe. Cela risque d'empirer demain, les relations internationales n'y gagneront rien.

lundi 23 avril 2018

Prepcom 2018 : la France fait du vent

La première séance de la Prepcom du TNP à Genève s'est ouverte ce matin. Mme Izumi Nakamitsu,au nom du Secrétaire général des Nations unies, a rappelé que "La menace de l'utilisation - intentionnelle ou non - d'armes nucléaires est croissante. Cette menace, qui concerne toute l'humanité, restera aussi longtemps que les armes nucléaires continueront d'exister dans les arsenaux nationaux".
Elle a rappelé que "Les États dotés d'armes nucléaires ont la responsabilité de leadership en matière de désarmement nucléaire". Malheureusement, les premiers discours des représentants des puissances nucléaires n'ont pas montré une volonté réelle de relancer une dynamique autour de l'application de l'article VI du TNP, par lequel les États "dotés" s'engagent à négocier de "bonne foi" le désarmement nucléaire. Le représentant des États-Unis s'est contenté d'un discours a minima, dans lequel il y a quelques "gentils" (les USA, par ex) et beaucoup de "méchants"(et il met dans le même panier ou presque, Iran, Irak, Syrie, Russie, Chine, etc.). Heureusement, il a quand même rappelé que le TNP avait eu le mérite de contenir la prolifération nucléaire ! Nous ne sommes pas complètement revenus en 2003 - 2005, lorsque le représentant étatsunien, Bolton, tirait à la mitrailleuse sur tous les traités de désarmement.
L'intervention de la représentante de la France, Mme Guitton, a été un exercice de style remarquable : comment masquer l'immobilisme nucléaire français sous des formules creuses, comment justifier le refus français d'impulser le désarmement nucléaire ? La représentante française n'a pu pour justifier que "conformément à une approche progressive et réaliste du désarmement nucléaire, la France a continué à mettre en oeuvre ses engagements au titre de l'article VI du TNP" que mettre en avant de vagues participations à des comités techniques, mais rien sur le plan politique concret de l'arrêt des mesures de "modernisation nucléaire" décidées dans les lois de programmation militaire actuelles.
Comme la diplomatie française se sent en difficulté par rapport aux initiatives de désarmement nucléaire, liées au TIAN, et popularisées en France par les 46 associations d'ICAN-France, la représentante française a annoncé péremptoirement qu'elle entendait "à present se tourner vers l'échéance de 2020". Tout le monde attendait des propositions politiques hardies et novatrices. Las ! Les propositions ne sont que des objectifs sans moyens d'action et donc peu atteignables : "adopter une réponse ferme et unie à toutes les crises de prolifération" (!), "renouer un dialogue multilatéral constructif et inclusif" ("cause toujours !"), deux "serpents de mer" avec la négociation d'un traité sur les matières fissiles, "l'entrée en vigueur rapide" du traité d'interdiction des essais nucléaires en panne depuis vingt ans, enfin la diminution des stocks d' armes nucléaires, mais chez les autres, les États-Unis et la Russie ! Ah, si, il y a eu un engagement concret, le "développement responsable et durable du nucléaire civil", c'est-à-dire le renforcement de la vente de centrales nucléaires ! La diplomatie française est malheureusement aujourd'hui de plus en plus réduite en matière nucléaire à essayer de "vendre du vent", pour pallier aux carences des politiques présidentielles françaises en matière de sécurité internationale innovante !
Par rapport à tous ces discours creux, l'intervention du représentant du Saint-Siège, a été un moment de fraîcheur intellectuelle et éthique. Celui-ci a rappelé que "Les armes de destruction massive, en particulier les armes nucléaires, créent un faux sentiment de sécurité. L'illusion tragique d'une "paix" basée sur la peur est au mieux superficielle". Il a affirmé avec fermeté que "tant ce traité [le Traité d'interdiction des armes nucléaires] que le TNP sont inspirés et conduits par les mêmes impératifs moraux et les mêmes objectifs. À cet égard, ils se renforcent et se complètent mutuellement". Enfin, il a ajouté que "Le désarmement nucléaire et la non-prolifération sont liés au désarmement intégral et cela est lié au développement humain intégral, que le pape Paul VI a défini comme un autre nom pour la paix".
En bref, cette première journée a planté le décor des enjeux d'un monde plus sûr et pacifié demain. Soit la poursuite d'une situation inégalitaire, dangereuse et instable, où certaines puissances considèrent que les armes nucléaires sont bonnes pour leur sécurité mais pas pour celle des autres pays.
Soit un sursaut politique et éthique pour dire : oui, il faut s'engager résolument dans la voie du désarmement nucléaire contrôlé et maîtrisé pour construire une nouvelle sécurité commune, et il faut prendre en compte tous les apports en ce sens, dont le nouveau Traité d'interdiction, en cours de ratification.
Daniel Durand