dimanche 25 octobre 2015

Sécurité et protection par la dissuasion ou la prévention ? (I)

Les douze derniers mois ont vu le débat français sur la pertinence de la dissuasion nucléaire s'ouvrir un peu plus. Plusieurs colloques ont été organisés qui ont tenté en général de justifier le maintien du statu quo actuel. On peut citer le colloque du CEA en novembre 2014 : « 50 ans de dissuasion nucléaire : exigences et pertinence au 21e siècle » ainsi que celui de la Fondation pour la Recherche stratégique  « La dissuasion nucléaire française en débat » en juin.
Le président Hollande a rappelé en février dernier la volonté gouvernementale de ne rien changer : "le temps de la dissuasion nucléaire n’est pas dépassé. Il ne saurait être question, y compris dans ce domaine, de baisser la garde".
Pour autant, la presse française s'est fait l'écho, ce qui est un phénomène relativement nouveau, des voix critiques comme celle du général Norlain ou de l'ancien ministre de la défense Paul Quilès.
Le chercheur André Dumoulin s'interroge en juin dernier sur ce débat français : "Nonobstant, le discours de la dissuasion française devra à l’avenir reposer sur une clarification doctrinale adaptée et sur une pédagogie renouvelée. Il y va de sa crédibilité et de son soutien, y compris dans le relationnel franco-britannique. Une condition finale étant aussi qu’au-delà du principe de précaution empêchant encore d’imaginer son effacement sans risque dans le monde incertain qui est le nôtre, le discours de la dissuasion doit rester « pur » et de stricte suffisance dans ses moyens de persuasion".(André Dumoulin "Vers une érosion du soutien à la dissuasion nucléaire française ?").
Un colloque organisé cette semaine par les clubs "Démmocratie" et "Participation et progrès" avance même une thématique plus ouverte : "Quelle dissuasion en l'absence d'arme nucléaire ?".
On ne peut que s'en féliciter, bien sûr.
Le site du Ministère de la défense continue pourtant d'affirmer que "De réelles menaces continuent de peser sur la sécurité du monde. La dissuasion, moyen exclusivement défensif, constitue l’assurance de la Nation contre toute menace d’origine étatique, d’où qu’elle vienne et quelle qu’en soit la forme, visant les intérêts vitaux de la France". (http://www.defense.gouv.fr/actualites/articles/la-dissuasion-nucleaire).
Mais l'idée progresse que la notion de "dissuasion" est devenue obsolète, qu'elle ne sert en fait qu"à "légitimer" la possession d'une arme de destruction massive à l'encontre de toutes les pratiques reconnues par le droit international du désarmement et le droit humanitaire, visant à protéger les populations civiles.
Le risque de prolifération ré-augmente aujourd'hui du fait de la frustration croissante de puissances moyennes, exaspérées par l'arrogance des puissances nucléaires dotées, notamment dans des zones comme le Proche et Moyen-Orient (leçons de la guerre d'Irak, de la Libye et de la Syrie).
L'arme nucléaire est l'arme dont le maintien est un risque permanent pour l'humanité. Elle ne dissuade personne réellement. Le « bisounours » est celui qui croit que la possession de l'arme nucléaire empêcherait Daesh de s'en servir contre nous.
La possession des armes nucléaires devient essentiellement un enjeu de représentation de puissance que les "possédants" cherchent à garder à tout prix en multipliant les opérations de communication ou de brouillage idéologique.
Mais, surtout, sur le plan conceptuel, la dissuasion a une énorme limite. Elle est sensée empêcher l'adversaire de nous attaquer. Est-ce que cela a fonctionné depuis cinquante ans ? Le débat est ouvert. Mais la principale faiblesse de la dissuasion est qu'elle ne s'attaque pas aux causes d'un conflit mais à ses effets et qu'elle n'empêche pas mais favorise la course aux armements. Chaque partie a pour seul but de surmonter la capacité de dissuasion de l'adversaire.
Déjà en 1999, des auteurs s'interrogeaient : "En dehors du domaine nucléaire (en dehors de sa « niche militaro-strategique », pour reprendre une de ces métaphores managériales qu’affectionnent les auteurs américains), la dissuasion comme forme stratégique générale est de moins en moins opérante. La dissuasion suppose un adversaire : elle s’exerce sur un décideur ou un centre de décision. Avec la prédominance de situations complexes, de conflits à trois camps, de menaces diffuses, difficilement attribuables ou assignables à un acteur central, la forme dissuasion perd une grande partie de sa pertinence. Au nouvel état du monde, caractérisé par la prolifération de conflits locaux, interétatiques et surtout intra-étatiques, correspond une nouvelle forme (ou langage) stratégique : la «prévention». (Maurice Ronai et Sami Makki CIRPES, Paris, mars 1999).
La sécurité aujourd'hui dans un monde instable, en transition, ne doit-elle pas travailler à développer avant tout la prévention ? Celle-ci est présentée sur le site du ministre de la défense ainsi : "Prévenir consiste à agir pour éviter l'apparition ou l'aggravation des menaces contre la sécurité" (http://www.defense.gouv.fr/air/presentation/fonctions-strategiques).
Sur le plan général, prévenir, c'est empêcher d'être attaqué en travaillant en amont sur les causes du conflits. La prévention privilégie donc les approches politiques. Sa logique interne n'est donc pas un équilibre des forces s'établissant toujours vers le haut mais elle induit une logique de désescalade. Cette logique débouche sur l'hypothèse d'une nécessaire et forte démilitarisation des relations internationales, le règlement des conflits, des points de fracture.
Elle pose donc inévitablement la nécessité du renforcement du système multilatéral donc des Nations unies, d'un maillage renforcé par le droit international, du règlement éventuel des menaces uniquement par l'action concertée, y compris militaire en dernier recours, de la communauté internationale.
Certes, une évolution des doctrines stratégiques ne sera pas simple et posera des problèmes pendant une longue période de transition. Mais cette évolution nécessaire est aujourd'hui plus crédible qu'il y a vingt ou trente ans : la révolution de l'information rend plus facile la transparence, la pression positive de l'opinion publique, la participation citoyenne (voir le nouveau phénomène des lanceurs d'alerte).
Il est très positif que le débat s'ouvre à la possibilité de la disparition de de l'arme nucléaire, mais doit-il se limiter, voire s'enfermer dans la seule problématique stratégique et conceptuelle de la dissuasion ? Ne faut-il pas débattre également de la priorité à donner aux politiques de prévention ?
Nous aborderons plus largement cette question dans un prochain article.

samedi 17 octobre 2015

Syrie, ONU : quelles réflexions ?

Lors de l'ouverture de la 70e session de l'Assemblée générale des Nations unies, fin septembre et début octobre, plusieurs observateurs ont relevé que la diplomatie française et le président Hollande avaient du mal à ne pas paraître isolés dans leur obstination à refuser toute forme de participation du gouvernement syrien actuel à une grande alliance pour combattre les terroristes de Daech.
Barack Obama a déclaré à la tribune des Nations unies que "Bachar el-Assad doit quitter le poste présidentiel" mais il y a une semaine, le secrétaire d'État John Kerry a concédé que le calendrier de la sortie de Bachar al-Assad était négociable. Des dirigeants européens comme David Cameron et Angela Merkel notamment, plaidant le pragmatisme, n'écartent plus la collaboration avec le régime de Bachar al-Assad, comme le suggère Vladimir Poutine. Les principaux acteurs dans le conflit syrien, incluant les États-Unis, la Russie, l'Arabie saoudite, l'Iran, la Turquie et l'Égypte, se réuniront en octobre. « Quatre groupes de travail doivent être formés à Genève et la rencontre du groupe de contact incluant les principaux acteurs, je pense, se réunira en octobre après la session de l'Assemblée générale de l'ONU », a déclaré le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Mikhaïl Bogdanov, cité par l'agence Ria Novosti.
M. Laurent Fabius a renouvelé ses critiques contre la Russie qui s'en prenait à «80-90%» à "l'opposition syrienne". Or, la notion "d'opposition syrienne" est trop ambiguë. Même si de multiples coalitions d'opposition contre Bachar al Assad existent, les plus puissantes sont composées de mouvements affiliés à Al-Qaida «canal historique» comme le Front al-Nosra ou la nébuleuse de Ahrar al-Cham comme le rappelle un spécialiste du renseignement, Alain Rodier. Le soutien militaire des occidentaux, français ou américains à l'Armée syrienne libre pose aussi question, d'autant plus qu'on sait qu'en septembre dernier, des rebelles syriens formés par les Américains ont remis une partie de leur équipement et munitions au dit Front al-Nosra. Va-t-on refaire les mêmes erreurs avec Al Nosra que les américains firent avec les talibans en Afghanistan en 1979-89 ?
Que sont devenues les armes françaises fournies aux groupes rebelles syriens dès 2012 alors que l’Union européenne avait imposé un embargo sur de telles livraisons ?
La France et la majorité des gouvernements occidentaux en 2011 ont cru que le régime de Bachar al Assad  allait tomber en quelques mois à l'image de ce qui s'était passé en Égypte et en Tunisie : ce fut une erreur fondamentale.
Même si la répression des premières manifestations pacifiques par Bachar al Assad avait été sanglante et était insupportable, le soutien à une opposition militaire disparate, débouchant sur un processus de guerre civile, était de toute façon une erreur politique. Dès ce moment, seul un processus visant une solution politique avec l'implication première des Nations unies était viable, accompagné des actions nécessaires pour mettre en oeuvre le droit international, y compris en travaillant à traduire Bachar devant la cour pénale de justice.
L'échec de la politique suivie est d'autant moins excusable que le précédent libyen aux conséquences désastreuses aurait dû inciter à une approche différente.
Le chaos en Syrie a permis que dès le 29 juin 2014, Daech proclame un califat en Irak et en Syrie et annexe des régions frontalières. En septembre 2014, les États-Unis et leurs alliés occidentaux et arabes, soit une soixantaine de pays, ont entamé, sans mandat de l'ONU, des opérations aériennes contre Daech sur le territoire irakien. 6.550 frappes ont été conduites dont deux cents sont françaises. Rapportés aux moyens mobilisés, les résultats restent minces.
L'ensemble des frappes occidentales est illégal. Par exemple, la justification avancée par le gouvernement français pour ses bombardements d'agir "en état de légitime défense" est contestée par les juristes internationaux. La Charte des Nations unies, dans son chapitre VII, reconnaît ce droit dans des limites très strictes : " jusqu'à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales". Or, rien de sérieux n'a été fait par la France pour faire aboutir une résolution du Conseil de sécurité permettant une "opération de police internationale armée" contre les terroristes, et surmonter les divergences politiques, notamment avec la Russie. Au contraire, pourrait-on dire, si l'on considère les déclarations du président Hollande et de Laurent Fabius. De plus, une telle opération même dans un cadre onusien ne pourrait être qu'un élément d'un plan politique de règlement du conflit.
Il reste que l'absence de recherche sérieuse de solution politique alternative à la guerre civile a conduit à une catastrophe humanitaire. 240.000 Syriens ont perdu la vie depuis le début de ce conflit (même si ce bilan produit par les opposants syriens est estimé surévalué par la Ligue arabe qui chiffre à un peu plus de 100 000 tués les victimes du conflit). Près de huit millions se sont déplacés dans les frontières intérieures fuyant les combats opposant les multiples factions au régime ou à l'EI. Quatre millions se sont réfugiés dans les pays voisins, au Liban notamment, dans la plus grande précarité. Quinze millions de Syriens sont en situation de détresse humanitaire.

Si l'on prend un peu de recul politique, on constate que la diplomatie française, tant avec le président Sarkozy que François Hollande, ne croit pas au renforcement du multilatéralisme dans le monde dans les prochaines décennies. Elle pense que le monde ne peut évoluer que vers l'accentuation des rivalités de puissance, et comme les États-Unis se désengagent du Moyen-orient, elle estime qu'il y a une "place à prendre", qu'il est possible de "tirer les marrons du feu". Et pour cela, la diplomatie française renforce sa posture de "meilleur opposant occidental" aux puissances régionales comme la Russie ou l'Iran. Ce positionnement politique est désastreux car il recrée des oppositions de blocs rappelant l'époque de la guerre froide et, in fine, isole quand même la diplomatie française, car lors de l'aiguisement des crises, les "grands" acteurs, USA et Russie, règlent eux-même sans la France (comme on le voit pour l'accord nucléaire avec l'Iran, et demain sans doute avec la conférence sur la Syrie).
Comme je l'écrivais sur mon blog, il y a un an (http://culturedepaix.blogspot.fr/2014/09/enjeux-et-alternatives-pour-la-paix.html)
"Aujourd'hui, face aux tentations de certains dirigeants de décréter ce qui est bon ou non pour des peuples, face également à des forces obscures entendant proclamer leur vérité propre comme universelle, ne faut-il pas être beaucoup plus intransigeant sur le respect du droit international et, par exemple, sur le passage systématique par une résolution du Conseil de sécurité pour toute action dans une crise internationale, a fortiori si une intervention militaire est en jeu en donnant systématiquement la priorité à une solution politique ? "Rien sans l'ONU" n'est-il pas un slogan qui devrait reprendre une force nouvelle ?
On a vu en 2013 que, lorsque les dirigeants mondiaux ont été obligés de négocier une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies sur la Syrie, cela a obligé à trouver un compromis politique et aboutit à la résolution sur la destruction des armes chimiques syriennes ce qui était un élément de blocage international depuis vingt ans !
Aujourd'hui, il faut déboucher sur des solutions politiques (...) sous l'égide des Nations unies, notamment par le biais de conférences internationales : elles impliqueraient des mesures de démilitarisation, de protection des populations, d'implication de tous les acteurs locaux (en Syrie avec tous les acteurs, y compris gouvernementaux mais hors Daesh : (...). Le passage obligatoire par l'ONU empêcherait les déclarations péremptoires, à la limite de l'arrogance de chefs d'État, décidant qui est légitime ou non comme représentants d'un peuple, comme cela a été malheureusement fait pour la Libye et la Syrie, par les deux Présidents français
".
Un an après, ces constatations restent valables. Veut-on laisser se créer un monde de pôles de puissance rivalisant entre eux, au risque d'une véritable "der des der" nucléaire, ou veut-on construire un monde multilatéral, assis sur le droit international, les coopérations mutuelles, la participation grandissante des citoyens de la planète, comme nous y convie le déploiement des moyens d'information et de connaissance ? Là reste la question centrale.

vendredi 16 octobre 2015

Culture de paix : 20 ans déjà...

C'est en 1995, il y a vingt ans, que la Conférence générale de l'UNESCO décidait de faire de la culture de paix sa priorité pour les années 1995-2001. Trois ans plus tard, le 13 septembre 1999 l'Assemblée générale des Nations unies adoptait une "Déclaration et un programme pour la culture de paix" autour de huit objectifs :
 - le renforcement d'une culture de la paix par l'éducation,   
 -la promotion d'un développement durable sur les plans économique et social 

- la promotion du respect de tous les droits de l'homme
- les mesures visant à assurer l'égalité entre les femmes et les hommes,
- les mesures visant à favoriser la participation à la vie démocratique
- les mesures visant à développer la compréhension, la tolérance et la solidarité
- les mesures visant à soutenir la communication participative et la libre circulation de l'information et des connaissances
- les mesures visant à promouvoir la paix et la sécurité internationales
 ».

20 ans après son adoption officielle par l'UNESCO, on peut faire trois séries de réflexions très schématiques sur le sens de l'apparition de ce concept, les problèmes posés pour sa mise en œuvre et sur le « et maintenant » ?
Premièrement, il faut bien voir que le développement puis l'officialisation du concept de Culture de paix constitue un changement de paradigme, une rupture historique avec la conception de la paix avant la fin de la guerre froide. Cette période avait été marquée à la fois par la « théorie des deux camps » issue du soviétique Jdanov (il y a le « camp de la guerre » et le « camp de la paix », les analyses sur l'« impérialisme fauteur de guerre », la conception que la paix est une simple « suspension de la guerre ». Il en découlait une lutte pour la paix ou plutôt contre la guerre tirée vers le haut et les affrontements des états, une lutte où les acteurs (et les victimes) sont en bas et les décideurs en haut. En même temps, il ne faut pas rejeter des aspects très positifs : cette lutte pour la paix a permis d'éviter la catastrophe de la guerre nucléaire en 1950 avec l'Appel de Stockholm, elle s'est traduite par le développement et le succès de la lutte pour décolonisation et l'indépendance des peuples, elle a participé enfin au développement historique, trop largement sous-estimé à mon avis, de « l'arbre à palabres » mondial unique qu'est l'Organisation des Nations Unies, phénomène historique extraordinaire, devant lequel on devrait s'émerveiller chaque matin en se levant.
La rupture historique qui intervient avec l'adoption du concept de culture de paix, c'est que la paix est considérée non plus comme un « état » (être ou ne pas être en paix) mais comme une « culture » c'est-à-dire comme une civilisation donc comme une construction vivante : il y a exigence d'absence de guerre, de disparition de la menace militaire et de désarmement, mais aussi de progrès du niveau de vie, du développement de l'emploi et de l'accomplissement personnel, de l'éducation, de la participation et de la démocratie. On assiste donc à un double basculement : d'un statut passif (un "état") à un statut actif (une "culture"), à un recentrage vers l'humain et plus seulement vers les états, les gouvernements. Enfin, en parlant de culture, on parle d'humains pour la porter : l'homme devient à la fois acteur et sujet, on passe du « vous devez faire » à « nous devons (ou pouvons) le faire » (« Yes, we can » !).

Deuxièmement, il faut reconnaître que le développement et la mise en œuvre de la culture de paix s'est avéré, s'avère et s'avérera forcément complexe, difficile et ce, d'abord pour les organisations de paix.
Il est parsemé d'écueils : d'abord, il ne peut pas se traduire par un émiettement, une dilution de la lutte pour la paix dans les différents domaines dont on dit qu'ils sont constitutifs de la culture de paix, mais au contraire, par un « aiguisement » de la visée d'une société de paix, de sa nécessaire présence au sein des différentes revendications portées dans tous ces domaines.  En bref, l'enjeu, me semble-t-il, pour le « mouvement de paix »,   n'est pas de  courir sur « tout ce qui bouge » (réfugiés, réchauffement climatique, kurdes, etc...) pour simplement s'y raccrocher ou le soutenir. À l'inverse, l'enjeu est de travailler à une « hégémonie de la culture de paix » (au sens gramscien) sur tous les problèmes du monde, sur toutes les démarches actives. L'enjeu est de faire comprendre à chacun que son action dans son domaine contribue à la construction d'un monde de paix : on mesure la difficulté.
Cela explique des progrès diffus partout du concept de culture de paix, se traduisant de façon brouillonne, parfois au niveau des bons sentiments et de la proclamation de foi ânonnée et inefficace.
Cela s'accompagne aussi d'un piétinement idéologique et de la tentation de revenir aux vieilles analyses du coupable, de la théorie « des deux camps ».
Cela conduit, par exemple, à lutter plus contre « Israël » et pas assez sur les luttes convergentes pour la coexistence de deux états indépendants,
à critiquer exclusivement les « USA impérialistes » ou « Hollande va-t-en-guerre » en Syrie et moins travailler aux conditions politiques du règlement du problème syrien, à la protection des réfugiés sur place, au retour des Nations unies comme cœur du règlement politique de la crise.
De la même manière au niveau étatique, des dirigeants politiques occidentaux se dressent contre la Russie "menaçante" et l'aventurisme poutinien, contre l'Iran "antisémite" pour défendre d'illusoires intérêts de puissance, au lieu de travailler à l'intégration systématique des puissances régionales concernées dans le règlement des conflits en-cours.
Cette difficulté dans la mise en œuvre de cette conception de la culture de paix, à y intégrer les citoyens dans des actions qui rassemblent et non qui divisent, est aggravée par un contexte international incertain et changeant.
C'est un troisième point. Pour poursuivre et approfondir la promotion de la culture de paix, il est nécessaire de se dégager de l'actualité et ses contingences, de prendre du recul historique : il faut voir que nous sommes dans une période de transition historique du système international : dangereuse, avec des hauts et des bas, des contradictions mais qui n'est pas « pire » que les décennies précédentes, au contraire.
Il serait dramatique de céder à des analyses catastrophiques erronées qui conduiraient les acteurs de paix soit à se replier ou se rétrécir, voire se radicaliser devant ce monde qui deviendrait "horrible", soit à se réfugier dans de simples proclamations de principe inefficaces.
L'enjeu reste de continuer à penser en terme de « transformation de civilisation » ce qui est un défi politique, social qui nécessite de travailler sur des objectifs clairs, qui dénoncent l'état de chose existant mais qui surtout rassemblent et non divisent.
Pour cela, il faut continuer de s'appuyer sur les transformations du monde. Celles-ci portent notamment sur l'essor de l'information, notamment au travers d'internet, des communications (voir le rôle des smartphones pour les réfugiés aujourd'hui) et des réseaux télévisés, donc des connaissances, et sur le désir de participation collaborative et consultation qui grandit.
En conclusion, voyons bien que toutes les transformations du monde donnent plus de latitude d'action aux individus et s'inscrivent donc au cœur du concept de la culture de paix. C'est un formidable potentiel d'espoir !