dimanche 29 avril 2012

Vienne 2012 : nouvelles stratégies pour les ONG ? (2)


Comme je le signale dans mon premier article, des points ont été marqués dans les dernières années par les abolitionnistes nucléaires : le soutien à la Convention d'abolition grandit au sein de l'Assemblée générale de l'ONU, Ban Ki moon, le secrétaire général, a repris cette proposition dans ses "cinq points pour le désarmement". Mais en même temps, une certaine frustration se fait jour chez beaucoup d'ONG et parmi les États non-nucléaires. Les textes adoptés, même s'ils sont plutôt bons comme en 2000 ou 2010 sont peu ou pas mis en oeuvre. Et surtout le paradigme dominant reste la primauté au "réalisme", au nom duquel les états nucléaires disent que "le nucléaire ne peut être désinventé", que "la dissuasion nucléaire reste la meilleure police d'assurance" en terme de sécurité, affirmations qui conduisent à privilégier systématiquement les discussions sur les mesures de non-prolifération et non les mesures de désarmement.
Ce désenchantement devant la stagnation des processus de contrôle des armements, des négociations de désarmement provoque depuis plusieurs mois un débat dans certaines ONG comme ICAN (Campagne internationale pour l'abolition de l'arme nucléaire). Ne faut-il pas changer de "terrain de jeu", ne pas se confiner au terrain des dimensions militaires et stratégiques des armes nucléaires mais poser aussi le problème de leur "inacceptabilité" morale et humaine, en regard notamment des conséquences humanitaires catastrophiques qu'elles auraient pour les populations d'une région, d'un continent ou de la planète entière ?
En novembre dernier, la Croix Rouge Internationale et le Croissant-Rouge - qui comptent près de 100 millions de membres et bénévoles du monde entier- ont adopté une résolution historique soulignant les dangers humanitaires des armes nucléaires et appelant les gouvernements à «poursuivre de bonne foi et à conclure des négociations avec urgence et détermination pour interdire l'utilisation et éliminer complètement les armes nucléaires par un accord international juridiquement contraignant".
Ce nouvel intérêt pour les conséquences humanitaires de l'usage des armes nucléaires, ajouté au traumatisme après la catastrophe de Fukujima, les partenariats qui se développent entre sociétés civiles, états non-nucléaires, engagements de parlementaires et d'élus pour créer les conditions de l'interdiction de l'arme nucléaire, font dire à une chercheuse comme Rebecca Johnson (lire sur le site d'Acronym - http://www.acronym.org.uk/articles - "Decline or Transform: Nuclear Disarmament and Security Beyond the NPT Review Process") qu'il est temps de se tourner vers une nouvelle approche : celle du "désarmement humanitaire". Donc, comme cela a été fait et réussi pour les mines antipersonnel, poser le problème sur le plan du droit international humanitaire et lancer un processus de pression citoyenne et de négociations multilatérales sans attendre le consensus de tous les états...
Un tel processus viserait, à côté de la pression "classique" sur les états, sous l'angle des dimensions militaires et de sécurité lié à la POSSESSION des armes nucléaires, à développer une action de sensibilisation en direction de l'opinion publique sous l'angle des conséquences humanitaires lié à l'USAGE éventuel des armes nucléaires.
Une Conférence d'ICAN en discute ce week-end à Vienne : ces thématiques seront-elles aussi abordées dans les autres réseaux d'ONG ? Les débats dans les réunions et initiatives des réseaux Abolition 2000, PNND (Parlementaires pour le désarmement nucléaire), Reaching Critical Will seront intéressants à suivre...
Nous reviendrons dans d'autres articles sur les problématiques soulevées.



Vienne 2012 : nouveau cycle autour du TNP (1)


Du 30 avril au 11 mai s'ouvre au Centre des Nations unies à Vienne (Autriche) un nouveau cycle de discussions destiné à préparer la prochaine Conférence d'examen du Traité de non-prolifération nucléaire qui aura lieu en 2015.
La précédente Conférence s'était achevée en mai 2010 à New-York par l'adoption par consensus d'un texte intitulé "Conclusions et recommandations d'action pour les actions à venir" comprenant 64 actions relatives au désarmement nucléaire, à la non-prolifération nucléaire, aux usages pacifiques de l’énergie nucléaire. Enfin, un texte spécifique concernait le Moyen-Orient, en particulier la mise en œuvre de la résolution de 1995 sur l'établissement d'une zone sans armes de destruction massive au Moyen-Orient ainsi que ces thématiques décision de tenir en 2012 une Conférence internationale sur le sujet.
Si tout le monde s'était félicité de l'adoption d'un texte, le bilan de cette Conférence avait été considéré comme relativement maigre (voir article sur mon blog : http://culturedepaix.blogspot.com/2010/06/tnp-le-debat-sur-une-convention-est.h).
Trois points à retenir :
Premièrement, une majorité de pays avait fait référence pour la première fois de l'histoire du TNP dans leurs interventions, et même dans leurs réflexions ou stratégies, à une Convention d'abolition des armes nucléaires.
Deuxièmement : les pays nucléaires avaient bataillé dur pour édulcorer le texte dans sa partie désarmement et qu'ils avaient réussi en partie leur objectif, bien qu'ils n'aient pu empêcher l'émergence de la notion de Convention d'abolition tout en réussissant à limiter les autres engagements de désarmement au niveau de ceux de la Conférence de 2000.
Troisièmement : les puissances nucléaires officielles se sont engagées à présenter à la réunion préparatoire de 2014 un bilan de leurs efforts pour l'application de l'article VI prônant l'élimination des armes nucléaires.

La réunion de Vienne jouera plus un rôle de préparation de ce nouveau cycle de discussions 2012-2015 que de réunion innovante. Les États-Unis, renouvelant leur Président en novembre prochain : cela incitera plus à la prudence qu'aux audaces, même chose sans doute pour la délégation française (dirigée par un nouvel ambassadeur, M. Jean-Hugues Simon-Michel) en attente d'un nouveau Président de la République.
Des événements survenus pendant ces deux dernières années pèseront sans doute sur le climat de la réunion de Vienne.
La catastrophe de Fukujima rappellera que l'ouverture de l'énergie civile à tous les pays pose des problèmes graves de sécurité nucléaire et écologique. Or, en 2010, des pays comme la Russie et la France (vendeurs de centrales obligent) s'étaient illustrés par leur valorisation sans retenue de l'article IV du TNP sur l'usage "pacifique" du nucléaire...
Les risques de conflits régionaux liés à la possession de l'arme nucléaire sont toujours pesants : menaces d'attaque israélienne sur l'Iran pour empêcher celui-ci d'acquérir éventuellement de telles armes, menaces de nouvel essai nucléaire en Corée du Nord et de représailles de ses voisins ou des États-Unis, tensions toujours existantes entre l'Inde et le Pakistan.
Au Moyen-Orient, compte-tenu du débat autour de l'Iran, la proposition de tenir une Conférence sur la création éventuelle d'une zone dénucléarisée avance lentement. Finalement, la Finlande a proposé que cette Conférence se tienne, non pas en 2012, mais en 2013 à Helsinki. Cette proposition a été acceptée par l'ONU, reste à la mettre en oeuvre et obtenir la participation des principaux intéressés dont Israël et l'Iran.
Dans les éléments plus positifs de ces deux dernières années, il faut relever que le soutien à une Convention d'abolition des armes nucléaires a grandi au sein de l'Assemblée générale des Nations unies : 143 pays la soutiennent aujourd'hui.
Dans l'opinion publique française, un sondage IFOP de ce mois d'avril indique que 81 % des français soutiennent l'ouverture de discussions sur ce sujet, ce qui a été toujours refusé par la diplomatie française.
Les interventions des diplomates à Vienne seront ainsi des indicateurs intéressants de l'évolution des opinions et des rapports de force au niveau des États tant nucléaires que non-nucléaires, même si peu d'événements originaux se produiront sans doute.
Par contre, parallèlement au cycle diplomatique qui donne parfois l'impression de tourner en rond, des événements plus stimulants risquent de se passer au niveau des ONG présentes dans les coulisses, car celles-ci sont en pleine réflexion stratégique (à suivre).



vendredi 27 avril 2012

Mon village ou ma planète ?


Dans ce blog consacré aux relations internationales, nous n'avons abordé que sous cet angle, le déroulement de la campagne des élections présidentielles françaises.
Or, une des contradictions de la campagne électorale des élections présidentielles aura été la faible place tenue par les problèmes internationaux alors qu'on constate, en fait, que bien des motivations des électeurs, notamment de ceux de Marine Le Pen, trouvent leurs racines dans l'évolution du monde. Pèse toujours ce vieux postulat que les enjeux internationaux sont affaire de spécialistes, hors de portée du simple quidam ; que plus on est en butte aux difficultés quotidiennes, plus son horizon intellectuel se rétrécit aux limites de son quartier ou de son village.
Or, qu'a fait Mme Le Pen pendant cette campagne sinon exacerber les craintes des gens de perdre l'identité de leur village, de voir déstabiliser leur mode de vie local dans leur quartier ou leur lotissement face un monde qui bouge, une mondialisation menaçante pour l'emploi, une Europe d'une règlementation jugée excessive, la présence mal vécue d'"autres" venus d'ailleurs, considérés comme "étrangers", deux ou trois générations après leur venue ?
Les hommes politiques doivent avoir le courage politique de montrer que les Français sont à une nouvelle étape de leur histoire. Il y a eu l'époque où on ne connaissait guère que sa paroisse, puis celle de la révolution industrielle et la 1ère Guerre mondiale qui ont fait prendre conscience de la réalité de la nation française tout comme la barbarie nazie a obligé à élargir l'horizon à l'Europe. Aujourdhui, les flux migratoires, les délocalisations économiques, les spéculations financières mondiales ou la catastrophe de Fukujima font prendre conscience, même si c'est pour s'en effrayer, que nous sommes sur une même planète...
Mme Le Pen trompe nos concitoyens en semant l'illusion que nous pourrions nous protéger du monde en édifiant des barrières comme dans le village d'Astérix le gaulois et en rejetant les autres : c'est une escroquerie intellectuelle !
Les problèmes d'immigration, d'intégration dépendent tout autant de mesures nationales de contrôle et de limitation, de politiques éducatives et de logement que d'actions internationales pour faire reculer la pauvreté mondiale, tarir les conflits régionaux. Comment y arriver sans s'attacher à la rénovation et à l'efficacité de l'ONU ?
Les politiques d'emploi dépendent tout autant de mesures nationales de dynamisation de la recherche et de la formation, de réindustrialisation, d'un certain "patriotisme économique", que d'une action publique, appuyée sur les luttes sociales en Europe et au niveau mondial (BIT) pour créer et imposer des normes sociales minimales sur tous les continents.
Les valeurs républicaines françaises sont fondées sur l'intérêt collectif avant (ou au moins au même niveau) que l'intérêt individuel, d'où l'importance que nous attachons aux services publics pour tous. Comment les conserver chez nous si nous ne menons pas une action vigoureuse en Europe et dans le monde pour faire émerger la défense de "biens communs mondiaux" (équivalents mondiaux de cette idée de services publics), qu'il s'agisse de l'eau, de l'énergie, de l'accès à l'information et au numérique, de la protection de la couche d'ozone ?
Arrêtons de séparer artificiellement problèmes locaux et enjeux internationaux dans les débats.
L'enjeu est de montrer à nos concitoyens qu'il s'agit de rendre le monde vivable pour tous pour qu'il le soit pour chacun, de montrer qu'il y a continuité et relation entre mon quartier, mon village et la planète...
D'aucuns appellent cela construire une culture de paix. Peu importe le terme, mais la responsabilité reste : parier sur l'intelligence des humains et non sur leurs peurs et leurs malheurs immédiats, qui sont, notamment chez les électeurs du Front national, mais pas seulement, le premier ressort des égoïsmes.
Nous ne sommes donc pas, au contraire, en dehors des préoccupations affichées dans les articles habituels de ce blog...



vendredi 20 avril 2012

Des sujets trop absents de la campagne électorale.

La lecture du tableau comparatif des programmes des candidats aux Présidentielles dans le journal "20 minutes" de ce jeudi était très instructive : huit thèmes étaient proposés : "Impôts, dettes", "Travail, retraite", "Société", "Éducation", "Logement", "Sécurité, justice", "Institutions, Europe". Rien ne concerne les problèmes internationaux, la mondialisation, l'ONU, la paix ou la Défense, les dépenses militaires. Pourquoi ?
L'interrogation demeure lorsqu'on ouvre le quotidien régional, le Progrès de Lyon qui publie, lui aussi, le même jour, un autre comparatif où les thèmes sont : "Emploi/chômage", "Retraite", "Logement", "Environnement/nucléaire", "Sécurité", "Immigration", "Europe/dette", "Fiscalité", "Santé", "Éducation", "Institutions", "Société". Là encore, le journal n'aborde pas les problèmes internationaux ni les questions militaires. Cela confirme le constat fait avec le quotidien Le Parisien qui a publié, lui,  un seul tableau comparatif sur un choix de thèmes encore plus restreint : "Santé", Sécurité", "Société".
Ainsi, les journaux "populaires" estiment que les questions internationales ou celles de sécurité nationale dépassent le niveau de leurs lecteurs et ne méritent guère d'être abordés dans la campagne !
Certes des quotidiens nationaux plus "élitistes" comme Le Figaro qui aborde tous les thèmes mais limite les comparaisons à des questions choisis par le journal de manière restrictive, Libération qui compare les programmes sous forme d'une "fabrique à débats" (on y trouve la rubrique "Politique étrangère" avec comme thèmes : "quelle politique de Défense" et "Quelle construction européenne"), ou Le Monde qui publie un comparateur assez complet où l'on trouve "Défense" et "Questions internationales" ne font pas les mêmes impasses dans le débat politique.
De même, les sites internet "comparatifs" spécialisés sur les Présidentielles sont plus exhaustifs : le site "Adoptezunpresident.fr" publie un questionnaire où  l'on trouve "Défense/Armées", "Politique étrangère", "Fonctionnement" (des institutions internationales), "Programmes industriels". Le site "www.Rue89.com" fait un panorama intéressant avec des positions concises mais complètes : dans les rubriques "Défense", "International", "ONU", "Afghanistan", "Syrie". Mais on peut estimer que le public de ces sites a déjà une motivation politique.
Ces observations très sommaires montrent quand même que nous ne sommes pas complètement sortis, malgré la mondialisation et internet, de l'époque où le "bon peuple" était convié à remettre dans les mains des spécialistes et des diplomates les grands problèmes du monde ! Pourtant...
Prenons la question des dépenses militaires abordée dans un récent article.
Le Sipri, le fameux institut international dont le siège est à Stockholm, vient de publier ses chiffres 2011 ce mardi 17 avril. Il révèle que 1.738 milliards de dollars ont été dépensés dans l'année 2011 (plus 100 Mds de $ sur 2010) pour les armements : 198 millions de $ par heure, 4,7 milliards de $ chaque jour  ! Est-ce une question qui ne concerne pas nos concitoyens en ces moments de crise économique ? Ce montant est encore en augmentation sur l'année précédente même si l'augmentation est "ralentie"...
Les États-Unis sont toujours la locomotive de la dépense militaire, avec 711 milliards de dollars, équivalents à 41% du total mondial. La Chine reste au deuxième rang par rapport à 2010, avec 143 milliards de dollars. Mais son rythme de croissance (170% en termes réels en 2002-2011) est plus grand que celui de la dépense étasunienne (59% pour la même période). En rapide augmentation aussi, la Russie, qui passe, avec 72 milliards de dollars en 2011, du cinquième au troisième rang. Suivent la Grande-Bretagne, la France (en légère baisse pour ces deux pays), le Japon, l’Arabie saoudite, l’Inde, l’Allemagne, le Brésil et l’Italie.
N'aurait-on pas dû demander leur opinion sur ces dépenses à nos concitoyens et aux candidats ?
Ce jeudi 19 avril, le Conseil de sécurité a consacré une réunion sur la non-prolifération nucléaire, le désarmement et la sécurité. Le Secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon a "positivé "les choses, il s'est félicité que les deux plus grandes puissances nucléaires de la planète, la Russie et les Etats-Unis, aient décidé de poursuivre la réduction de leurs arsenaux nucléaires dans le cadre du Traité START (Traité de réduction des armes stratégiques). Il a ajouté aussi : « Pour la première fois, l'OTAN a fixé comme objectif un monde dépourvu d'armes nucléaires. Le prochain sommet de l'OTAN à Chicago sera l'occasion de développer une approche commune ». Donc acte, c'est bien et ce sont des points d'appui politique. Cependant, des dizaines de milliers d'armes nucléaires continuent de représenter une menace pour l'humanité. Des milliards de dollars sont dépensés pour les moderniser, malgré des besoins sociaux pressants et des attentes mondiales croissantes pour des progrès dans le désarmement...
Autre anomalie : « Seize ans après son adoption par l'Assemblée générale, le Traité pour l'interdiction des essais nucléaires n'a toujours pas été mis en œuvre", a déclaré dans la même réunion, le Secrétaire général des Nations unies qui a ajouté : " Je salue vivement la ratification de l'Indonésie - (ce qui porte à 156 le nombre d'États ayant adhéré au traité)-  et j'appelle les autres pays de l'annexe 2 de suivre cet exemple". "L'annexe 2" du Traité comprend les pays dont la ratification du traité est nécessaire pour le faire entrer en vigueur mais qui ne l'ont pas encore fait. Il s'agit de la Chine, de la République populaire démocratique de Corée, de l'Égypte, de l'Inde, de l'Iran, d'Israël, du Pakistan et des États-Unis.
Le Traité d'interdiction complète des essais nucléaires a pour but principal d'instaurer un système de contrôle mondial des explosions nucléaires. A terme, 337 installations réparties dans le monde entier seront capables de détecter la moindre explosion nucléaire y compris les essais souterrains ou sous-marins.
Une des rares bonnes nouvelles de cette semaine électorale en France aura été la publication par un ancien responsable politique, Paul Quilès, d'un petit livre "Nucléaire, un mensonge français - Réflexions sur le désarmement nucléaire" qui a le courage de remettre en cause le fameux «consensus» français sur l’armement nucléaire. Paul Quilès juge que cela est indispensable et qu’il est urgent de sortir de ce «mensonge français» fait d’approximations, de contrevérités, de slogans répétés à l’envi, de silences et d’arguments d’autorité. À lire (Éditions Charles Léopold Mayer, http://www.eclm.fr/).


dimanche 15 avril 2012

Vous avez dit "consensus" ?

Il est de bon ton dans les milieux politiques de dire que si les Français se divisent sur nombre de sujets, il y a un consensus dans le soutien à la politique nucléaire militaire française...
Le sondage IFOP du 22 mars, commandé par le Mouvement de la paix, et évoqué dans un article précédent, met à mal ou, tout au moins, questionne fortement ce fameux consensus nucléaire militaire.
Deux questions ont été posées relatives à la stratégie nucléaire française. La première demandait aux sondés s'ils souhaitaient que la France "s'engage dans un processus de convention internationale d'élimination totale et contrôlée des armes atomiques, déposée auprès des Nations unies". Une écrasante majorité, 81 %, s'y montre favorable. Ce chiffre est encore plus fort à gauche : entre 87 et 90 % mais ce soutien traverse tous les électorats : 76 % de favorables au Modem, 82 % à l'UMP et même 67 % au FN. Il y a quelques nuances dans les électorats dans l'enthousiasme entre les "tout à fait favorables" et "plutôt favorables" mais le fait politique est que la grande majorité des Français, toutes tendances confondues, souhaite que la France oeuvre à la négociation pour un Traité d'élimination des armes nucléaires, alors que la position diplomatique française a été l'inverse jusqu'à présent, tant en 2010 à New-York lors de la Conférence d'examen du Traité de non-prolifération nucléaire que depuis, dans les différentes réunions internationales !
La deuxième question sur la stratégie nucléaire française demandait si le sondé est favorable ou non au fait que la France "renouvelle et modernise ses armes atomiques (sous-marins, missiles, etc...)". Là encore, une majorité nette de Français (64 %) n'est pas favorable à cette "modernisation". À gauche, c'est écrasant dans l'électorat du Front de Gauche et d'Europe écologie (87 et 81 %) mais c'est net chez les électeurs socialistes (72 %) et même chez les centristes du Modem (67 %). Plus surprenant, ce refus de la course aux armements atomiques  est majoritaire chez les électeurs du FN (57 %) et très controversé à l'UMP (48 % contre, 52 % pour - ce chiffre est même inversé si l'on considère les électeurs de Nicolas Sarozy en 2007 : 51 % contre, 49% pour). Or cette modernisation nucléaire (nouveaux sous-marins nucléaires SNLG, nouveaux missiles nucléaires M51, nouveaux missiles nucléaires aéroportés ASMP) est celle menée actuellement par les gouvernements de droite depuis 2002 ! Elle l'avait été également par le précédent gouvernement Jospin de 1997 à 2002...
Alors, le fameux "consensus" nucléaire militaire français ne mérite-t-il pas d'être revisité ?
Là encore, ne faut-il pas mettre les politiques, les candidats devant leurs responsabilités politiques pour qu'ils écoutent l'opinion publique ?
Pour l'instant, les positions des principaux candidats aux élections présidentielles en sont loin : M. Sarkozy affirme qu’il n’est pas question de « remettre en cause notre dissuasion parce que je tiens à ce que la France participe à la préservation de la paix et qu’elle soit crédible et écoutée dans le monde ». François Hollande a réaffirmé sa volonté "de maintenir la capacité de dissuasion nucléaire" de la France. M. Bayrou  entend « dire que la France demeurera une puissance nucléaire crédible, libre et indépendante, avec ses deux composantes ».
M. Mélenchon, tout comme Mme Joly, se distinguent du lot. Le premier souhaite que la France participe au désarmement nucléaire multilatéral, même si « en l’état actuel, la dissuasion nucléaire demeure l’élément essentiel de notre stratégie de protection ». Cependant, il en allégerait « le coût, en supprimant la composante aérienne, aujourd’hui obsolète ». La seconde estime que "la France doit faire des propositions diplomatiques et technologiques ambitieuses afin de progresser vers l’objectif d’un monde dénucléarisé".
Il est donc clair que les candidats les plus probables du second tour sont loin encore d'être convaincus du message de l'opinion. À la même opinion publique de leur exprimer et rappeler cette volonté avant, pendant et après les échéances électorales d'avril-mai et de juin...
Mais sans attendre, un problème est posé dès la prochaine semaine : le lundi 23 avril s'ouvre au siège de l'ONU de Vienne (Autriche), la première des réunions préparatoires (Prepcom) à la prochaine Conférence du TNP de 2015. La France va-t-elle continuer de faire obstacle à toute référence à l'élaboration d'une Convention d'abolition des armes nucléaires alors que 81 % des Françaises et Français le réclament ? Quelle que soit la majorité d'aujourd'hui ou de demain, il semblerait légitime que cette exigence soit entendue. Gageons que les représentants des ONG françaises présentes la semaine prochaine ne manqueront pas d'interroger le nouvel ambassadeur de France pour le désarmement (M.  Jean-Hugues Simon-Michel, qui vient de remplacer M. Éric Danon) à ce sujet...

Si on parlait dépenses militaires ?

Un sujet reste discret dans la campagne présidentielle française : celui de la place des dépenses militaires en France et dans le monde. Fort opportunément, ce mardi 17 avril, des réseaux d'ONG organisent une "journée mondiale sur les dépenses militaires" qui prendra un relief certain car nous connaîtrons la veille, le niveau 2011 de celles-ci telles que le calcule l'institut suédois SIPRI.
En 2010, les dépenses militaires mondiales ont déjà atteint le niveau effarant de 1630 milliards de dollars, plus du double de celui de la fin des années 90 ! On ne sera pas malheureusement surpris que les États-Unis dépensent pratiquement 50 % de ce total (750 Mds). On peut être doublement choqué : d'abord par le fait que ces dépenses ont constamment augmenté dans cette dernière décennie alors qu'aucune menace d'ordre vraiment militaire ne soit apparue (la menace terroriste appelle essentiellement des réponses de nature policière et  judiciaire et non militaire). Deuxièmement, par le fait que c'est dans cette même période que des besoins humains nouveaux ont été exposés.
Lors du Sommet du Millénaire à New York en 2000, les dirigeants mondiaux ont pris des engagements ( Objectifs du Millénaire pour le Développement) qui recouvrent de grands enjeux humanitaires: recul de la pauvreté et de la faim, éducation pour tous, égalité des sexes, santé des enfants, santé maternelle, lutte contre le VIH, protection de l’environnement et partenariat mondial pour le développement. L'échéance pour ces objectifs a été fixée à 2015. Il ne reste que 3 ans pour tenir ces promesses et, les engagements n’étant pas respectés, nous sommes très loin d'y parvenir. Une autre échéance est représentée par la tenue en juin prochain du Sommet de la Terre - Rio+20. Les objectifs vitaux pour notre planète exposés à ce Sommet appellent à dégager les ressources et les capacités intellectuelles nécessaires, pour l'instant gaspillées justement dans ces activités militaires. À une échelle plus réduite, comment ne pas être stupéfait que, malgré la crise économique qui la secoue, la Grèce continue d'avoir un budget militaire un des plus élevés proportionnellement d'Europe ?
On voudrait espérer que lors de cette semaine, de nouvelles indignations s'expriment car les statistiques du SIPRI vont montrer que la tendance est à la poursuite de la hausse des dépenses militaires sur tous les continents.
Les prévisionnistes estiment que le budget des USA ralentira certes sa progression mais grossira encore selon les déclarations du président Obama. La Russie, la Chine prévoient des budgets en augmentation, justifiés selon elles par la pression stratégiques des États-Unis, en Europe avec le futur bouclier antimissile, dans le Pacifique avec l'installation de nouvelles troupes étatsuniennes. L’Amérique du Sud accélère l’augmentation de ses dépenses militaires, après une augmentation de 5,8% en 2010. Au cours de la dernière décade, les dépenses militaires d’Amérique latine ont crû de 42 milliards (en 2001) à 70 milliards (en 2010). Dans la péninsule d’Arabie, l’Arabie saoudite a dépensé un impressionnant 10,4% de son PIB (quatre fois le taux mondial) en 2010 pour ses dépenses militaires et continué sur ce chemin avec l’achat, en décembre 2011, d’avions de combat US pour un montant de 30 milliards. Les Emirats Arabes Unis ont dépensé 3,5 milliards pour l’achat de missiles « anti-bunker » et autres armements, et le Koweit a acheté des missiles Patriot pour presque un milliard de dollars. De nombreux pays africains ont augmenté également leur budget militaire.
En Europe, un certain nombre de pays européens ont légèrement baissé leur budget militaire mais la France maintient son budget qui avec un montant de 39 Mds d'euros est le deuxième budget de l'état derrière l'Éducation nationale.
Ces contradictions, ce grand écart entre les besoins de la planète, de notre pays, les menaces réelles et non artificiellement gonflées sur notre sécurité et les montants considérables de dépenses militaires fondamentalement stériles sont perçus pour une large part par l'opinion publique.
Un sondage IFOP, commandé par le Mouvement de la paix, publié le 22 mars dernier, montre que "le secteur devant faire l'objet de restrictions budgétaires en cas de réduction des dépenses" est très majoritairement le secteur de "la défense, l'armée". En effet, 37 % de nos concitoyens le placent en tête des postes à réduire alors que les autres domaines à comprimer sont loin derrière (21 % pour "aides aux chômeurs", fantasme de la droite et du FN).
Ce choix est très fort à gauche, notamment parmi les électeurs du Front de Gauche et d'Europe écologie (66 % et 68 %) mais aussi très fort au Parti Socialiste (46 %), voire parmi les soutiens du Modem (36 % comme la moyenne nationale). Il faut noter que, si pour les électeurs de l'UMP et du FN, le premier poste à comprimer est "les aides versées aux chômeurs" (36 et 44 %), la baisse des dépenses militaires vient tout de suite derrière (23 et 22 %).
Les candidats et demain les élus politiques entendront-ils ce message ? Rien n'est moins sûr car cette question reste ou taboue ou ambiguë.  Jean-Luc Mélenchon dans son discours sur la défense du 30 mars dernier pense que le budget de la Défense doit être « stabilisé », François Hollande s'est engagé à étalonner les dépenses militaires sur l’évolution générale du budget de l’État. Nicolas Sarkozy continuera la même politique de "sanctuarisation" des dépenses militaires qu'aujourd'hui.
La bataille d'opinion sur la finalité des dépenses militaires, leur évolution dans les politiques publiques, la nécessité de leur révision à la baisse avec les initiatives politique internationales concomittentes est loin d'être gagnée. Encourager les citoyennes et citoyens à appeler les élus et candidats à faire preuve de plus de courage politique pourrait être un résultat minimum mais important de cette journée internationale sur la réduction des dépenses militaires.