lundi 3 décembre 2012

État de Palestine : une nouvelle étape vers la paix ?

La Palestine vient de passer, grâce au vote de l'Assemblée générale, du statut "d'entité-observateur permanent" à celui d'État, au statut d'observateur non-membre auprès des Nations unies, tout comme l'est le Saint-Siège (l'État du Vatican). La nouveauté juridique est l'apparition du terme "d'État" qui renforce à l'évidence la crédibilité diplomatique du gouvernement palestinien de Mahmoud Abbas, ce qui devrait encourager d'autres États, au delà des 132 actuels qui ont reconnu bilatéralement la Palestine comme État, à le faire (la France ne l'a pas encore fait). Il sera plus difficile d'émettre de nouveaux vetos au Conseil de Sécurité pour empêcher qu'il ne propose, comme le veut la Charte, à l'Assemblée générale des Nations unies, de reconnaître la Palestine cette fois comme État de plein exercice.
Dès maintenant, ce statut d'État observateur non-membre va permettre à la Palestine d'adhérer à de nouvelles organisations et Traités internationaux, régis par des Conventions comme la Cour pénale internationale. Cela pose en terme nouveau la relation avec Israël qui va devenir officiellement "puissance occupante" d'un État reconnu de facto comme tel à l'ONU. De même, des actions militaires sans retenue, comme l'attaque de Gaza en 2009, pourront être dénoncées par le gouvernement palestinien comme crimes de guerre,voire contre l'humanité. Le vote positif de l'Assemblée générale  est aussi un moyen de soutenir le président Abbas qui en a besoin sur le plan intérieur : le Hamas à Gaza n'a en effet soutenu que la dernière semaine sa démarche à l'ONU pour la reconnaissance de la Palestine comme État non-membre.
La France a voté "Oui"pour ce statut de la Palestine, ce qui est positif. Le nouveau Président F. Hollande avait fait un geste remarqué en recevant à l'Elysée dès le 8 juin, le président Abbas, alors qu'il n'a reçu Nettayahu qu'en novembre dernier.
En même temps, il est clair que ce succès diplomatique palestinien n'est qu'une étape, sur le chemin de la reprise des négociations, de la création des conditions durables d'un climat d'arrêt des violences contre les civils et de construction d'une paix durable entre les deux États.
Le cessez-le-feu actuel, encore combien fragile, a été obtenu grâce aux efforts de l'Égypte, du secrétaire de l'ONU Ban Ki-moon, et à la pression des USA. La position claire du président Abbas appelant à cesser les violences, y compris les tirs de roquettes, a aidé. On a retrouvé la même lucidité du côté de l'ambassadeur délégué de la Palestine auprès de l'Unesco, Elias Sembar, qui déclarait la semaine dernière sur Europe 1 : "nous nous attendions à ce qu'il y ait des manoeuvres de diversion, hélas tragiques, par plusieurs parties opposées à notre entrée dans l'ONU. (...) Cette diversion est tragique et criminelle car il y a des civils qui sont en train de payer ce jeu avec la mort".
Il est dommage qu'on ne trouve pas cette même netteté en France dans les divers collectifs et mouvement se réclamant de la paix au Proche-Orient, qui hésitent à dire "ni roquettes, ni bombardements et colonisation".
Il ne s'agit pas d'établir une fausse symétrie entre la puissance israélienne et les faibles moyens des groupes palestiniens mais de l'affirmation du refus de la prise en otages des civils tant israéliens que palestiniens, de l'affirmation d'une coexistence nécessaire demain entre les deux peuples.
Il est positif que le principal mouvement pour la paix en Israël, "la Paix maintenant", se soit félicité du vote de l'ONU  et le considère "comme un premier pas vers la création d’un État palestinien aux côtés d’Israël et vers une solution négociée à deux États, que nous appelons l’un et l’autre de nos vœux".
Il faut en effet redoubler d'efforts pour promouvoir une solution "2 États, 2 capitales à Jérusalem" et dénoncer tous les obstacles à cette perspective comme l'annonce par Israël de nouvelles colonisations en Cisjordanie. Le soutien au gouvernement palestinien est crucial, tant sur le plan politique que financier : l'Union européenne vient de ré-augmenter sa contribution à l'agence onusienne pour les réfugiés qui travaille surtout à Gaza (avec 80 millions d'euros, l'UE est le principal bailleur de fonds de l'UNRWA) mais il faut exiger qu'Israël ne bloque pas les sommes qui sont légitimement dues aux Palestiniens pour leurs produits exportés. La Palestine a marqué des points dans une démarche "ouverte" moins dirigée contre son voisin qu'en direction de la communauté internationale ; espérons que les dirigeants palestiniens sauront continuer dans cette voie.
La construction de la paix nécessaire au Proche-Orient est trop complexe pour l'enfermer dans des formules rigides ou incantatoires.
Dans cet esprit, l'annonce du report de la Conférence qui devait à Helsinki, en fin d'année, essayer de faire progresser les discussions sur une zone exempte d'armes de destruction massive au Moyen-Orient est une mauvaise nouvelle pour la paix.
Le principe de cette conférence avait été confirmé en mai 2010 lors de la Conférence d'examen du Traité de non-prolifération nucléaire. Les USA avaient accepté d'en être les co-parrains mais Israël, seul pays nucléaire de la région, a toujours proclamé sa réticence. La tension à Gaza, la crise syrienne, le débat autour des projets de recherche nucléaire de l'Iran ont justifié en septembre dernier son annonce de ne pas participer à cette conférence. Le secrétaire de l'ONU, Ban Ki-moon, la France ont annoncé qu'ils souhaitaient que les discussions et consultations continuent, "dans les délais les plus brefs, en vue de garantir que la conférence se tienne le plus tôt possible en 2013".
C'est un objectif essentiel : il n'y aura pas d'évolutions positives durables dans les différents problèmes de la région sans un environnement géographique moins militarisé. Cela passe par la clarification, la réintégration dans les discussions, et la disparition des armes nucléaires israéliennes, la transparence complète pour écarter toute composante militaire des recherches nucléaires iraniennes, la signature par la Syrie de la Convention d'interdiction des armes chimiques et la destruction de ses stocks, notamment.
   

mercredi 21 novembre 2012

Désarmement : nouvelles en vrac..

La situation grave dans plusieurs points du monde et notamment à Gaza laisse dans l'ombre certaines autres informations qu'il est bon de connaître aussi. En voici un échantillonnage pour novembre :
1/ La Chine semble pouvoir déployer d’ici 2 ans des missiles nucléaires à bord de ses sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, indique le brouillon d’un rapport rédigé pour le Congrès américain, par la US-China Economic and Security Review Commission. Pendant longtemps, la Chine a eu une capacité sous-marine largement symbolique. Mais elle est maintenant sur le point de disposer d’une dissuasion nucléaire en mer presque continue. En septembre dernier, la Chine a lancé son premier porte-avions, acheté à l’Ukraine puis remis en état.
Même si la Chine a beaucoup augmenté ses dépenses militaires lors des dernières années, ces annonces montrent en même temps qu'elle avait un retard important sur les quatre autres puissances nucléaires en terme de "palette" d'armements.
2/ Une  conférence internationale « L'arme nucléaire et la sécurité internationale au XXIème siècle » a été organisée à Moscou le 9 novembre dernier. Il y a été relevé que la menace nucléaire subit aujourd'hui des transformations : le risque du recours à l'arme nucléaire dans un conflit local devenant plus tangible. Au fur et à mesure que le nombre de pays développant des études nucléaires continue de croître, l'arme nucléaire est considérée souvent comme l'unique garantie d'indépendance dans un conflit contre une grande puissance.
De plus, il faut maintenant prendre en considération le risque du terrorisme nucléaire. La création d'une charge nucléaire dans une entreprise privée n'est plus du domaine de la science-fiction. Surtout si l'on tient compte du fait qu'il y a suffisamment de sources d'uranium de qualité militaire pour que ce risque soit pris au sérieux.
Richard Burt, animateur du projet Global Zero a rappelé à cette Conférence, que les efforts conjoints pour garantir la sauvegarde de la paix mondiale doivent aller de pair avec l'abandon de la dissuasion nucléaire en tant que fondement de l'équilibre des forces. En la matière, la Russie et les Etats-Unis doivent servir d'exemple aux autres pays.
3/ Le chef de l'Agence Internationale pour l'Énergie Atomique (AEIA),  Yukiya Amano a déclaré le 11 novembre que les autorités iraniennes ont commencé à détruire la base militaire de Parchin, où selon les représentants des pays occidentaux auraient pu être réalisés les recherches et la fabrication d'armes nucléaires,
En mars de cette année, l'Iran a promis de permettre aux observateurs de l'AIEA d'accéder à la base de Parchin, qui se situe à 30 kms de Téhéran, mais cette promesse n'a jamais été tenue. Une activité industrielle a été enregistrée dans cette zone en août. Selon le rapport de l'AIEA, les experts iraniens auraient détruit les bâtiments et recouvert la zone de terre pour masquer les traces des tests nucléaires. Comme Parchin était le principal site soupçonné de servir à des développements nucléaires éventuellement non-pacifiques, cela est plutôt une bonne nouvelle
4/ L’observateur permanent du Saint-Siège aux Nations Unies à Genève, Mgr Silvano M. Tomasi , a réaffirmé le 13 novembre dernier, a déploré  que « Dans les conflits récents et actuels, les populations civiles n’étaient pas protégées et le droit international humanitaire était tout simplement un ensemble de règles non respectées ». Pour le Saint-Siège : « Notre lecture des dispositions des instruments de désarmement en général, (...), , est basée sur une approche humanitaire où la personne humaine est au centre de l'attention et l'objet de la protection ».
Rappelons que c'est sur cette approche par le droit humanitaire que l'organisation ICAN (Campagne internationale pour l'interdiction de l'arme nucléaire) base sa nouvelle campagne pour un Traité d'interdiction des armes nucléaires. Une Conférence internationale aura lieu à Oslo en mars prochain.
5/ Vers un report des discussions sur un Proche-Orient dénucléarisé ?
Les discussions prévues au mois de décembre sur l'établissement d'une zone dénucléarisée au Proche-orient pourraient être reportées, selon des sources diplomatiques rapportées par la presse. Aucune décision formelle, de retarder la Conférence sur la création d'une zone exempte d'armes nucléaires et de toutes autres armes de destruction massive prévue à la mi-décembre, n'a été annoncée, mais des responsables onusiens ont déclaré que les discussions pourraient ne pas avoir lieu avant 2013.
La tenue en 2012 d'une telle conférence avait été décidée en mai 2010 par 189 États signataires du Traité sur la non-prolifération des armes-nucléaires (TNP).
6/ Mercredi 7 novembre à New York, au lendemain de la réélection de Barack Obama, 157 gouvernements siégeant à la Première Commission de l'Assemblée nationale des Nations unies ont voté en faveur d'une finalisation du traité sur le commerce des armes (TCA) par l’organisation d’une nouvelle conférence diplomatique en mars 2013. Ce serait une bonne nouvelle si la Russie ne s'était pas abstenue : son opposition alors qu'elle est le deuxième exportateur mondial d’armes, pourrait conduire à un nouvel échec des négociations en mars prochain d'autant plus que c'est la règle du consensus et non de la majorité qualifiée qui a été retenue sur pression des USA. Cette conférence finale des Nations unies pour le traité sur le commerce des armes se tiendra à New York du 18 au 28 mars 2013. Mais si le texte du traité n'est pas adopté à ce moment-là, il sera probablement proposé par une large majorité de pays pour une adoption par vote de l'Assemblée générale des Nations unies. Une fois adopté, le traité devrait entrer en vigueur après ratification par 65 États.

mardi 23 octobre 2012

Retour sur un prix Nobel de la paix controversé...

L'attribution du prix Nobel de la paix 2012 à l'Union Européenne a été une surprise. Elle a entraîné des réactions en France souvent épidermiques ou politiciennes. Des organisations avaient déjà reçu ce prix (Campagne contre les mines antipersonnels, Médecins pour la prévention de la guerre nucléaire, A.I.E.A, ONU, par ex.) mais c'est la première institution politique internationale à être récompensée. Comme toute institution, l'U.E. est porteuse d'enjeux contradictoires et les réactions les ont reflétées. Les réactions d'humeur de citoyens/citoyennes sensibles à tel ou tel aspect de la politique européenne sont compréhensibles ; celles de dirigeants politiques, préférant les petites phrases politiciennes aux analyses de fond, le sont moins. Ce manque de recul a été préjudiciable à la compréhension de cette décision du jury Nobel et et a abouti à des rapprochements malheureux comme entre "l'humour noir" selon M. Mélenchon et le "je suis tombée de ma chaise" selon Mme Le Pen. Nous sommes loin du devoir d'éduquer les citoyens et de leur donner à comprendre, souci qui devrait être celui de tout dirigeant politique...
Pour apprécier la décision des Nobel, il faut en examiner l'exposé des motifs. Le Comité Nobel rappelle que si l'Union européenne connaît aujourd'hui des difficultés économiques graves et un déficit social important, le résultat le plus important reste la "lutte victorieuse à la paix et à la réconciliation, et à la démocratie et aux droits de l'homme", une lutte "qui a contribué à transformer l'Europe d'un continent de guerre en un continent de paix".
Le rapprochement franco-allemand a été au coeur de la pacification du continent dont les moteurs ont été multiples : volonté politique des dirigeants, coopérations économiques (CECA, Traité de Rome), volonté des peuples (jumelages, action d'ONG). Il serait à l'évidence stupide de sous-estimer le rôle du cadre institutionnel, des rapports politiques, économiques, diplomatiques qu'il a entraînés. L'Union européenne a généré une prospérité économique globale dans le contexte de la croissance des "30 glorieuses" ; cette prospérité, jointe au développement de la démocratie parlementaire, a produit une force d'attraction politique forte que chacun a pu constater lors de l'implosion du bloc soviétique. Les conflits qui ont éclaté dans les années 90 ont eu lieu aux marges de l'Union (ex-Yougoslavie et Caucase) mais, après les difficiles accords de paix réalisés, l'aspiration à intégrer l'Union a constitué un moteur du rétablissement de la paix dans ces régions. Le même phénomène d'attractivité se produit aujourd'hui avec la Turquie, ce qui influe sur les réformes démocratiques dans ce pays. L'aide à la consolidation de la démocratie et de l'état de droit dans tous les pays membres n'est pas une des moindres avancées de l'Union (voir Espagne, Portugal et Grèce).
Plus largement, tous les habitués des contacts internationaux savent combien la construction politique européenne par la voie pacifique est un objet de réflexion, souvent d'admiration et d'envie (non sans naïvetés d'ailleurs) de la part des militants associatifs sur le continent sud-américain, africain ou asiatique.
Alors, faut-il admirer béatement l'oeuvre accomplie par l'Union Européenne et se congratuler sans réserves du prix Nobel obtenu ?
Non, bien sûr, soyons lucides et voyons les contradictions qui traversent l'institution.
La principale contradiction qui traverse l'Union est celle entre les intérêts individuels de chacun des États, notamment les plus importants, et les positions communes qui doivent être adoptées. Certains commentateurs ont souligné que deux États européens sont des puissances nucléaires qui traînent les pieds en matière de désarmement, certains États sont des vendeurs d'armes de premier plan et contribuent ainsi à l'insécurité du monde, des membres de l'U.E ont joué un rôle parfois négatif dans les conflits des dernières décennies (Allemagne en Croatie, France en Afrique, etc...).
Pour autant, sous la pression de plusieurs états européens ayant des intérêts différents, de celle des députés européens, de l'opinion publique, des décisions souvent positives ont été prises au niveau de l'Union sur le contrôle du commerce des armes légères (l'U.E a un eu rôle positif), sur le maintien de la paix (l'U.E est le principal contributeur de l'ONU en ce domaine, en particulier pour les Balkans et le Caucase), sur l'aide financière et économique à l'autorité palestinienne (sans l'U. E. aujourd'hui, la structure du gouvernement d'Abbas, après celui d'Arafat, se serait effondrée). L'Union Européenne est bien un acteur majeur du maintien de la paix aujourd'hui même si des domaines "lourds" comme le désarmement nucléaire lui sont en partie encore "interdits" par la France et le Royaume-Uni. Malgré cela, il existe bien des espaces politiques d'intervention populaire au niveau européen. Le fait qu'aujourd'hui, avec 27 pays membres, l'Union européenne est le plus gros contributeur financier des Nations unies devant les USA (37 %), n'est pas encore complètement exploité par les ONG pour obtenir que l'Union joue un rôle encore plus positif et efficace au sein de l'ONU.
L'histoire de ces soixante dernières dernières années montre également les relations complexes et contradictoires entre les politiques économiques suivies dans l'Union et les résultats politiques obtenus. Les deux premières décennies de l'Union, le "Marché commun", se sont construites autour de politiques économiques très controversées comme la CECA (Communauté économique du Charbon et de l'Acier), avec les restructurations qui s'en sont suivies. Puis dans les années 80, ce furent la création de l'Union européenne, l'adoption du Traité de Maastricht, le marché unique, la création de l'Euro, toutes décisions dont certaines conséquences négatives ont été largement combattues à juste titre, comme l'est aujourd'hui la ratification du nouveau Traité européen de stabilité. Pour autant, les éléments de déchirures sociales et politiques contenues dans ces décisions n'ont pas abouti vraiment à un recul de l'intégration européenne, y compris sur le plan des relations sociales et humaines. Les éléments fédérateurs et intégrateurs, malgré toutes les dérives existantes (politiques d'accueil des immigrés, des Roms, par ex), sont restés les plus forts et jouent un rôle pour la pacification du continent et son rayonnement dans le monde.
Alors, ne faut-il pas avoir une analyse beaucoup plus nuancée et contradictoire sur l'attribution de ce prix Nobel, sa signification et ses potentialités ? Voyons les revendications politiques que ce prix Nobel élargit. Certains prix Nobel des dernières années privilégiaient essentiellement la défense des droits de l'homme, la nomination 2012, malgré ses ambiguïtés, a le mérite d'ouvrir un débat sur les politiques de paix et de désarmement. Ne faut-il pas s'en servir pour avoir encore plus d'exigences pour obtenir que les députés européens, les chefs d'États fassent toujours plus de l'Union européenne un vecteur majeur d'une Europe de paix, de progrès, de démocratie dans le monde ?
Nous réaliserions ainsi le rêve européen du discours de Victor Hugo au Congrès de la paix de 1849 : « Un jour viendra où les armes vous tomberont des mains à vous aussi ! Un jour viendra où la guerre paraîtra aussi absurde et sera aussi impossible entre Paris et Londres, entre Petersburg et Berlin, entre Vienne et Turin qu’elle serait impossible et paraîtrait absurde aujourd’hui entre Rouen et Amiens, entre Boston et Philadelphie. Un jour viendra où vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne…Un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées. Un jour viendra où les boulets et les bombes seront remplacés par les votes, par le suffrage universel des peuples… »

jeudi 11 octobre 2012

Nouvelle session de l'ONU : le besoin d'avancer...

L'ouverture de la nouvelle session de l'ONU (67e) en septembre a été marquée comme d'habitude par un défilé de chefs d'États ou de gouvernements, délivrant à la tribune, des messages parfois convenus, mais aussi parfois significatifs des préoccupations politiques mondiales de l'heure.
Certes, le blocage de la situation concernant la Syrie était derrière la majorité des interventions mais on peut dire que, malgré cela, ou à cause de cela, la nécessité d'une ONU plus forte et plus efficace n'a pas été vraiment remise en cause mais au contraire, plutôt souhaitée. Quelle différence avec les années 2002 lorsque George W. Bush et les "neocons", aidés par Tony Blair, menaient l'offensive contre la place même des Nations unies dans le monde ! Le souhait de réformes, généralement en insistant sur la nécessité de respecter les principes de la Charte onusienne, est revenu souvent.
C'est dans ce contexte qu'il faut situer les différentes interventions.
M. Ban a insisté sur les progrès réalisés, notamment dans le domaine de la lutte contre l'extrême pauvreté, qui a été réduite de moitié depuis 2000, les transitions démocratiques en cours au Moyen Orient, au Myanmar et dans plusieurs autres pays du monde. M. Obama s'est dit convaincu qu'en fin de compte, le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple était plus susceptible d'apporter la stabilité, la prospérité et les chances individuelles dans un monde de paix. S'agissant du dossier israélo-palestinien, M. Obama a affirmé que « l'avenir ne doit pas appartenir à ceux qui veulent tourner le dos au processus de paix », réitérant la position de son pays en faveur d'un État juif prospère coexistant en paix et en sécurité avec une Palestine indépendante. Au delà des formules, cela a signifié le refus de s'aligner sur les positions extrémistes du leader israélien, M. Netanyahu.
Selon M. Hollande, élu en mai dernier et qui s'exprimait pour la première fois devant cette instance, « il nous appartient de prendre pleinement nos responsabilités », en réformant d'abord l'Organisation, a-t-il lancé à l'adresse des 193 États Membres. Le Président français a ainsi jugé que le Conseil de sécurité devrait « mieux refléter les équilibres du monde d'aujourd'hui ». La France appuie en ce sens la demande d'élargissement de ce Conseil, formulée par l'Allemagne, le Japon, l'Inde et le Brésil, et est favorable à une présence accrue de l'Afrique, y compris parmi les membres permanents.
Cette place de l'Afrique a été défendue par de nombreux orateurs, notamment par le dirigeant de l'Afrique du sud, M. Zumma, selon qui l'Afrique devrait se voir octroyer deux sièges de membres permanents dotés des mêmes privilèges que les membres permanents actuels, y compris le droit de veto, et cinq sièges de membres non permanents.
La réforme du Conseil de sécurité a été abordée par d'autres pays, non seulement sous l'angle de la représentativité mais aussi sur celui de la réforme des méthodes de travail et la limitation du droit de veto. La Suisse a estimé que le recours au droit de veto au sein du Conseil de sécurité est « difficilement justifiable » en cas de génocides, de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité. Sa Présidente a appelé à aller plus loin dans les domaines de la médiation et de la diplomatie préventive, en notant que la majeure partie du budget de l'ONU reste consacrée aux opérations de maintien de la paix.
En même temps, les souhaits de réforme du fonctionnement des structures onusiennes s'accompagnent de réticences de certains pays de voir remis en cause leur souveraineté. « Respecter la souveraineté, les intérêts vitaux, ainsi que le choix de système social et de voie de développement de chacun est une règle fondamentale régissant les relations entre États », a insisté le Ministre chinois, tout en affirmant qu'il est « essentiel d'appliquer le multilatéralisme » et « de défendre le rôle central de l'ONU dans les affaires internationales ». De son côté, le ministre russe, M. Lavrov, a estimé que « l'ordre mondial est menacé par l'interprétation arbitraire de principes essentiels tels que le non recours à la force ou la menace de la force, le règlement pacifique des différends, le respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale des États, et la non-ingérence dans leurs affaires intérieures ».
On voit qu'il y encore besoin d'éclaircir un certain nombre de concepts comme "la responsabilité de protéger" et surtout de clarifier les conditions de leur application, comme la désastreuse intervention en Libye l'a montré. Tout concept international risque d'être instrumentalisé pour servir les intérêts particuliers de tel ou tel groupe de puissances. Est-ce pour autant qu'il faut "jeter le bébé avec l'eau du bain" comme ont tendance à le faire en France certaines forces politiques  à propos de la Syrie, du Mali ou ailleurs ? Évidemment non, mais cela suppose des interventions, des pressions populaires ou politiques beaucoup plus fortes qu'aujourd'hui, et qui ne se construisent pas uniquement sur des postures de repli ou de refus..
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mercredi 10 octobre 2012

Les leçons de l'été (3) - le désarmement, pause ou stand-by ?

Un des événements les plus attendus sur le plan du désarmement était la conférence des Nations unies qui s'est tenue du 2 au 27 juillet 2012 visant à établir un Traité sur le commerce des armes. Les diplomates se sont séparés sans avoir pu adopter ce Traité. Pour autant, un texte existe et les ONG qui, cet été, se déclaraient profondément déçues, commencent, à l'instar d'Amnesty International, de dire que ce texte "constitue une base solide sur laquelle s'appuyer pour aboutir à l'adoption d'un traité". Le 26 septembre, les ministres des Affaires étrangères de plusieurs pays de l'Union européenne dont la France ont adopté une déclaration commune intitulée "Finissons le travail" et qui insiste sur la nécessité de reprendre la négociation dans le cadre des Nations unies et d'organiser une "deuxième conférence le plus tôt possible en 2013". On peut penser que si le président Obama est réélu en novembre, les diplomates US seront plus coopératifs qu'en juillet dans les négociations. 2013 verra-t-elle cette étape historique sur la réglementation du commerce des armes ? Ce sera une des attentes de l'année prochaine.
Du côté des ONG, la mobilisation continue de grandir sur l'idée de négociations pour l'interdiction des armes nucléaires comme contraires au droit humanitaire : le Vatican a réitéré sa condamnation, le réseau ICAN (Campagne internationale pour l'abolition des armes nucléaires) a annoncé la première conférence humanitaire sur le sujet à Oslo,  les 2 et 3 mars prochains, des pays comme la Norvège et la Suisse semblent bien décidés à jouer sur le plan diplomatique une rôle actif.
La situation porte moins à l'optimisme sur le plan des institutions internationales dédiées au désarmement.
Malgré une déclaration des ministres de tous les États qui ont ratifié le Traité d'interdiction des essais nucléaires (TICEN), la situation reste bloquée, et là encore, il faudra attendre l'issue des élections américaines et des rapports de force qui s'en dégageront pour espérer voir peut-être le Sénat américain évoluer vers une ratification de ce traité.
La Conférence du désarmement à Genève s'est séparée, elle, en septembre sans avoir pu, une fois de plus, se mettre d'accord sur un programme de travail. Même si tous les diplomates se sont félicités de la bonne ambiance régnant pendant la discussion, la panne persistante de cette institution remet en cause son utilité même. La vice-secrétaire générale des Nations unies chargée du désarmement , Mme Angela Kane a rappelé lors de la séance de clôture que "surmonter cette impasse exigera donc bien davantage que des réformes institutionnelles au sein de la Conférence ou la simple recherche de nouveaux lieux de négociations" et que "les échecs à la Conférence ne sont pas les échecs de la Conférence mais ceux de la diplomatie et tout progrès repose sur les États Membres et non pas sur l'instance au sein de laquelle ils se rencontrent". Pour nous, cela pose la question de la capacité d'initiative de la diplomatie française au coeur de cette enceinte, capacité basée sur la volonté ou non de prendre de vraies initiatives politiques pour relancer le désarmement nucléaire, en dépassant le seul jeu de déclarations sur le "danger" iranien...
Peser sur les politiques des États pour faire progresser le climat général de désarmement semble une évidence, y compris si l'on espère faire progresser d'autres problèmes plus généraux. Qui peut croire que des progrès seront réalisés dans les crises avec l'Iran ou la Syrie, dans l'affectation de nouvelles ressources à la lutte contre la pauvreté et pour l'éducation, voire même pour financer l'action contre le réchauffement climatique sans un abaissement significatif des niveaux d'armements, des dépense militaires énormes qui leur sont consacrés (1740 Milliards de $ selon le SIPRI en 2011) ?

mardi 25 septembre 2012

Leçons d'un été (2) : Quel règlement politique des conflits ?

À la veille de l'ouverture de son débat général, dont le thème est cette année le règlement des différends par des moyens pacifiques, l'Assemblée générale des Nations Unies a réaffirmé lundi dans une déclaration adoptée par consensus « son attachement à l'état de droit et son importance fondamentale pour le dialogue politique et la coopération entre tous ses États Membres ». Même si cela peut paraître surprenant, c'est la première fois que l'Assemblée discute de la question de l'état de droit à un tel niveau. Les Nations unies sont en effet confrontées à un problème : même si elles disposent d'un nombre impressionnant de textes juridiques internationaux,  le véritable défi est de faire entrer en vigueur les cadres juridiques existants. C'est seulement dans cette perspective que la réflexion menée depuis la dernière session de l'Assemblée générale des Nations Unies sur le règlement des différends par des moyens pacifiques, la médiation et la prévention des conflits pourra trouver sa pleine efficacité.
La réflexion de fond a cependant progressé parmi les États comme en a témoigné également le 12 septembre dernier la résolution adoptée par l'Assemblée générale sur la sécurité humaine. Cette résolution marque une avancée dans la compréhension commune de cette notion qui appelle des réponses axées sur l’être humain, « globales, adaptées au contexte et centrées sur la prévention ». La résolution rappelle que "la sécurité humaine tient compte des liens réciproques entre paix, développement et droits de l’homme et accorde la même importance aux droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels".
Elle permet de lever des ambiguïtés en précisant que la notion de sécurité humaine se distingue du principe de la « responsabilité de protéger » et de son application, que son application relève d'abord de la responsabilité de chaque État national et ne saurait être imposée par la force.
Là encore, on pourrait objecter qu'il s'agit de paroles et de bonnes intentions, comme en témoigne le fait que certains pays ont adopté ces résolutions tout en faisant montre par ailleurs de scepticisme pour leur efficacité.
En même temps, l'actualité de ces dernières semaines (Syrie, Mali) et de l'année 2011 (Lybie) montre qu'il y a besoin de continuer à préciser les cadres de l'action internationale pour éviter que les bonnes intentions ne servent qu'à dissimuler les manoeuvres stratégiques de certaines puissances.
Pour la Lybie, le Conseil de sécurité avait adopté en mars 2011 la résolution 1973 dont le but était simplement de protéger les populations civiles. On sait comment son contenu trop flou a pu être manipulé et instrumentalisé par MM  Cameron et Sarkozy pour une intervention militaire, avec l'utilisation de l'OTAN, visant d'abord à un changement de régime par la force, avec des visées en arrière-plan économico-stratégiques. Cette dérive du droit international a empêché toute intervention humanitaire efficace en Syrie, la Chine et la Russie, furieux d'avoir été dupés dans la crise lybienne, ayant bloqué toute solution. On peut d'ailleurs se poser des questions sur la pertinence de la diplomatie française y compris après l'élection présidentielle. MM Hollande et Fabius ont-ils eu raison de ne pas se démarquer dès le début de la diplomatie sarkozienne, y compris en avançant comme quasi-préalable, le départ de Bachar el-Assad ? Depuis le mois d'août, l'impasse diplomatique évidente dans laquelle on se trouve a, semble-t-il, amené le président Hollande à recadrer plus le discours, et ce d'abord en réaffirmant le soutien de la France à la prééminence des Nations unies et le refus de toute aventure militaire en dehors du cadre onusien (voir mon article précédent). De même, M. Fabius, dans ses derniers discours (Conférence inaugurale de l’Ecole des Affaires internationales le 6 septembre), a inversé apparemment les priorités par rapport aux discours de juin dernier : "Face à l’urgence, la France se mobilise, en apportant d’abord une aide humanitaire. Nous développons notre assistance aux zones libérées, pour permettre aux résistants de renforcer leurs positions. La fin des violences passe par une solution politique  – départ de Bachar el-Assad, mise en place d’un gouvernement de transition, (...)".
La France a tout à gagner, si elle veut devenir "une puissance d'influence" comme l'a déclaré le ministre, à s'inscrire encore plus dans le renforcement du droit international et des des Nations unies, de leur réforme et de leur efficacité. Il semble que dans la crise malienne, l'approche soit plus prudente (le spectre de la Françafrique rôde toujours) et mette en avant et les États de la région et le soutien onusien. Les suites des déclarations et débats lors des journées d'ouverture de la nouvelle session de l'ONU cette semaine nous en apprendront plus...

dimanche 9 septembre 2012

Leçons d'un été (1) - La visée stratégique de F. Hollande.

La réunion traditionnelle des ambassadeurs de France s'est déroulée du 27 au 31 août à Paris. C'est traditionnellement l'occasion pour le Président de la République, parfois pour le Ministre des Affaires Étrangères, d'expliquer ou actualiser ses grandes priorités en matière de diplomatie de la France. François Hollande, qui se livrait à l'exercice pour la première fois, a prononcé un long discours pédagogique pour détailler ses options en matière de politique étrangère.
Dans l'analyse de la situation, il reprend le thème de "l'instabilité" du monde, non  seulement au niveau politique mais aussi sur le plan économique et financier. Il observe que de  nouvelles menaces se sont accumulées : terrorisme, drogue, pandémies et nouvelles technologies de l'information. Il ajoute à l'instabilité "l'incertitude" qui pèse pour lui sur l'environnement, le climat et la biodiversité et auxquels il joint le risque de prolifération nucléaire. C'est une analyse stratégique assez classique, qui se distingue malgré tout de celle de M. Sarkozy, car les menaces y sont plus "resserrées", précisées. De plus, François Hollande y ajoute un élément d'équilibre bienvenu en estimant que "le monde est aussi porteur d'espoir" et "évolue dans un sens qui est celui du progrès" grâce, selon lui, à la vitalité et l'aspiration démocratique des peuples qu'illustrent notamment les printemps arabes. Même si cette dimension est trop peu développée à mon avis, elle ouvre la voie à une posture non pas de "forteresse assiégée" mais de "puissance d'initiative", beaucoup plus dynamique.
Dans cet esprit, la référence insistante aux "valeurs universelles" portées par la France en matière de droits de l'homme et de défense de la légalité internationale est importante, tout comme le rappel de la volonté de la France de "faire de l'organisation des Nations unies l'instance centrale de la gouvernance internationale pour préserver la paix". Certes, ces principes sont des constantes de la diplomatie française mais leur mise en valeur a connu des éclipses parfois, notamment lors de la dernière présidence, donc leur réaffirmation dans ce type de discours a un sens positif.
On peut être plus réservé sur l'affirmation que "la France est un pont entre les nations, y compris émergentes, entre le Nord et le Sud, entre l'Orient et l'Occident". Quel sens historique et diplomatique peut avoir cette affirmation ? Oui, comme il est dit après, la France est et doit être "un acteur (...) du dialogue entre les civilisations" mais cette notion imprécise de "pont" risque de renvoyer à la vieille prétention française de se vouloir puissance exceptionnelle, un peu au-dessus des autres par son histoire, sa culture, chargée d'une sorte de mission historique, bref une vieille arrogance française mal ressentie par de nombreux pays et qui a justifié dans le passé les pires comportements colonialistes ou néo-colonialistes.
Ces réserves sur cette posture "d'exception" se trouvent renforcées par le couplet de F. Hollande sur la France "puissance mondiale", "un des rares pays qui dispose d'un très large éventail d'actions, doté d'une capacité nucléaire", autant d'affirmations là encore à la limite des vieux rêves dépassés de puissance du 20e ou 19e siècles, qui semblent contradictoires avec la volonté de prendre en compte les réalités nouvelles d'un monde en mouvement, affirmées par ailleurs par le Président. L'exemple du statut des armes nucléaires françaises en est une illustration : le ministre de la Défense, M. Le Drian n'a-t-il pas redit cette sottise en juillet à l'Île Longue : "notre force de dissuasion nous permet de tenir notre rang international" ?
François Hollande a été plus heureux en insistant sur la nécessité de prendre en compte "de nouveaux enjeux comme celui du défi écologique" et celui "d'une meilleure gouvernance mondiale". Il a rappelé la proposition française de la création d'une Organisation des Nations unies pour l'environnement basée en Afrique, proposition qui avait été plus ou moins mise sous le boisseau dans la dernière  période par M. Sarkozy. Il a également montré la limite des institutions actuelles, y compris le G20, sur le plan des enjeux économique et financier.
C'est sur ces bases qu'il a consacré une large part de son discours au renforcement de l'Union européenne, y compris en matière de Défense avec la coopération avec le Royaume-Uni, vieille position française des années 90, orientation qui devrait être au coeur des débats du futur Livre Blanc sur la Défense, préparé pendant cette fin 2012 et soumis au Parlement en 2013. Le deuxième axe, lui aussi très classique, est la volonté de relance du dialogue méditerranéen, souvent évoqué depuis trente ans mais dont on attend toujours des avancées concrètes. Enfin, il a rappelé sa volonté d'établir "une nouvelle donne" avec l'Afrique, un continent qui bouge et qui a aujourd'hui une forte croissance économique.
Enfin, F. Hollande a consacré un fort développement à la prise en compte des puissances émergentes, les fameux BRIC : Brésil, Russie, Inde, Chine auquel il a joint le Japon. Il n'a pas évoqué de mesures précises particulières mais a voulu marquer la volonté française de ne pas se limiter à ses relations diplomatiques traditionnelles, à son pré carré francophone ou occidental.
Beaucoup d'observateurs ont relevé le classicisme du discours et le peu d'innovations diplomatiques annoncées. Sans doute était-ce le souci d'un nouveau Président de ne pas multiplier les chantiers. Mais pour ceux qui veulent croire à l'affirmation "le changement, c'est maintenant", il faudra que les déclarations sur l'appui plus fort à la légalité internationale et au système des Nations unies, l'attention proclamée aux nouveaux problèmes comme l'environnement, aux nouvelles relations avec l'Afrique et la Méditerranée se traduisent dans des actes concrets pour être prises véritablement au sérieux.

vendredi 15 juin 2012

Armements : de salon en conférence...

Deux événements se succèdent sur le calendrier : du 11 au 19 juin, les industriels de l’armement et de la sécurité terrestres participent au salon Eurosatory, au parc des expositions de Villepinte. Ensuite, le 2 juillet s’ouvrira à New York une Conférence des Nations Unies ambitieuse. Préparée depuis 2009 par un groupe de travail onusien et prévue pour durer trois semaines, elle aura pour mission de discuter et adopter un Traité international réglementant le commerce des armes conventionnelles.
Cette succession d'événements montre les contradictions de notre époque. À Eurosatory, 1400 exposants (grands groupes, PME, forces armées…) s'efforcent de vendre des armements toujours plus sophistiqués. Nous sommes dans un monde où la violence globale mondiale ne progresse plus (contrairement aux apparences tirées des Une des journaux télévisés - voir les résultats du sixième Global Peace Index  établi par  l'organisation Institute for Economics and Peace). De plus, la crise économique restreint les budgets d'équipement, aussi la concurrence est féroce entre fabricants et les arguments font flèche de tout bois.
Ainsi Christian Mons, président du Gicat, le Groupement des industries de défense terrestre (240 entreprises, 20.000 emplois directs et 5 milliards d'euros de chiffre d'affaires) a-t-il estimé que la France devait maintenir ou augmenter son budget militaire pour être crédible comme membre du Conseil de Sécurité des Nations unies, comme s'il existait un lien entre les deux choses ! Partout, les grands groupes d'armement font pression sur leurs gouvernements d'origine pour qu'ils achètent et utilisent leurs nouveaux types d'armement  au prétexte qu'ils vendent plus facilement leurs matériels s'ils sont déjà en service...
Autre type d'évolution préoccupante : de même que sur le plan politique, le président Bush puis plus tard, Nicolas Sarkozy, avaient introduit une confusion entre les notions de défense et de sécurité, sur le plan des armements, on assiste à une volonté d'adapter les matériels militaires aux besoins de la sécurité publique (maintien de l'ordre) ou privée (milices militaires, surveillances d'entreprise). "Il ne s'agit pas que de la sécurité d'État, mais aussi de la sécurité privée", précise Patrick Colas des Francs, commissaire général du salon Eurosatory dans le journal "Le Monde", soulignant que "des entreprises sécurisent les plates-formes pétrolières, le Stade de France, les chaînes d'hôtels ou les clubs de vacances". Il y a là des risques de dérives ou de menaces potentielles sur les libertés démocratiques dans de nombreux pays.
Peut-on avoir des discussions et réflexions uniquement d'ordre économique sur la question des industries d'armements, sur les ventes et achats de ceux-ci, sans discuter de leur adéquation aux besoins réels de défense et aux conséquences des conflits armés et guerres, alimentés pour une part par les ventes excessives d'armes ? Rappelons, comme le fait René Backmannn dans le Nouvel Obs, que d'une manière globale, "en 2011, les dépenses militaires mondiales ont atteint 1738 milliards de dollars. Soit 198 euros par terrien". Sur le plan des ventes d'armement, la France a confirmé son rang de quatrième puissance exportatrice de matériel militaire en 2011 avec des ventes de 6,5 milliards d'euros aux armées étrangères. Or, les ventes d'armement nécessite des intermédiaires. Il faut savoir que la quasi-totalité des grandes affaires politico-judiciaires françaises des vingt dernières années portent sur des contrats d’armements, leurs évolutions ou leurs dérives : des frégates de Taïwan à l'affaire Clearstream et aux sous-marins Agosta au Pakistan, en passant par de possibles accords entre le régime de Kadhafi et des personnalités françaises, toutes ces affaires ont mis en cause des intermédiaires, marchands d’armes et autres corrupteurs. Le nouveau gouvernement français est évidemment très attendu sur cette question.
Il faut savoir également qu'au niveau mondial, le commerce des armes a fortement augmenté : plus 25 % sur les quatre dernières années, selon des statistiques publiées par l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI) et reprises par le site Internet d'Amnesty International. En 2010, les ventes d'armes et d'équipements militaires ont dépassé 400 milliards de dollars. Toujours, selon Amnesty International, au moins 500 000 personnes meurent chaque année, victimes de la violence armée, lors des 131 conflits armés en cours ou suite à l'usage excessif de la force par les gouvernements, les groupes d'opposition ou la criminalité. Des armes ont été utilisées dans au moins 60% des cas de violations des droits humains.
Le coût des guerres et de la violence pour la société est énorme. Dans un monde "idéal" sans violence, 9 000 milliards de dollars auraient été économisés l'an dernier, l'équivalent des PIB allemands et japonais combinés, selon l'organisation Institute for Economics and Peace...
Une issue positive de la Conférence diplomatique des Nations unies du 2 au 27  juillet prochain sera saluée par tous ceux qui aspirent à un monde plus sûr, plus civilisé et pacifié. Le Traité sur le Commerce des Armes (TCA) en discussion, est basé sur un principe simple : pas de transfert d’armes si celles-ci risquent d’être utilisées pour perpétrer des violations contre les droits de l’Homme.
Jusqu'à présent, il n'existe pas de règles juridiques internationales pour contrôler le commerce des armes, alors qu'il en existe des dizaines pour régenter le commerce de toutes sortes de produits alimentaires, textiles, etc..
L'application d'un tel Traité ne peut réussir que grâce à la transparence (la publication régulière de rapports publics) et la pression des opinions publiques. Le chantier sera difficile en juillet compte-tenu des enjeux politiques et des pressions économiques. Nous y reviendrons mais un dernier chiffre pour la réflexion : selon l'ONG Oxfam, chaque minute, une personne est tuée dans le monde dans le cadre d'un conflit armé...

lundi 28 mai 2012

Sommet de l'OTAN : le changement, c'est pour quand, qu'on va où ? (3)

Au sommet de l'OTAN à Chicago, pour sa première grande sortie internationale officielle, François Hollande a choisi de faire entendre une "petite musique" différente sur l'avancement de la date de retrait des troupes combattantes françaises d'Afghanistan. Estimant sans doute qu'il ne faut aborder dans une négociation qu'un seul sujet à la fois, il a adopté sur les autres sujets du Sommet des positions "d'attente" (du moins, je l'espère), mais qui devront forcément être creusées et précisées dans un avenir proche.
Le retrait des troupes d'Afghanistan n'était pas un sujet trop épineux, tous les pays veulent retirer leurs forces le plus rapidement possible. Même si beaucoup auraient préféré le "on entre ensemble, on sort ensemble", il faut rappeler que le contingent français représente moins de 3% de la coalition internationale, et qu'une assistance technique française restera sur place. Non, la vraie question pour l'avenir est, comme le souligne Paul Quilès, sur son blog (http://paul.quiles.over-blog.com/article-porter-haut-la-voix-et-les-valeurs-de-la-france-105429675.html), celle de la situation de l’Afghanistan après 2014 et son idée d'une Conférence internationale associant les principaux pays concernés par le conflit afghan (Pakistan, Inde, Chine, Russie, Etats-Unis…) pour remettre à plat toute l'organisation de l'aide à la société afghane est pertinente. On ne peut que souhaiter que les nouveaux responsables de la diplomatie française la reprennent à leur compte pour la faire aboutir.
La diplomatie française a besoin de reprendre pied sur le terrain de la paix et du désarmement, après les calamiteuses années Sarkozy d'interventions tous azimuts et de suivisme étatsunien. Elle aurait également une autre occasion de manifester sa renaissance, si elle appuyait la demande des pays favorables, au sein de l’OTAN,  au retrait d’Europe des bombes nucléaires tactiques américaines entreposées sur le sol de plusieurs pays européens. Pour Paul Quilès,  "l’axe franco-allemand serait renforcé, notamment dans le domaine de la défense".          
Concernant  la défense antimissile, des questions de fond sont soulevées en dehors des considérations de charges budgétaires supplémentaires, de suivisme des États-Unis sur le plan des décisions ou du matériel utilisé. Ces questions touchent à la pertinence même de la notion de bouclier anti-missile et de son effet prévisible de relance à la course aux armements. Avant d'avancer sur ce terrain, il semble légitime que cette question fasse l'objet d'un large débat en France sur les nouvelles orientations stratégiques et de défense de la France. François Hollande s'est engagé à remettre à plat le contenu du Livre Blanc sur la défense : la tenue de cet engagement est attendue.
Ce débat devrait englober bien sûr les positions futures de la France sur le plan de la défense européenne. Oui à un renforcement d'une défense européenne à condition que celle-ci s'inscrive clairement dans le renforcement du multilatéralisme, donc du rôle central des Nations unies, de la progression du droit international et des traités, de la démilitarisation des relations internationales et de l'avancée des processus de désarmement y compris nucléaire. À la différence de Barak Obama en 2009, Nicolas Sarkozy s'est refusé pendant son mandat à dire clairement que le but final de la France était l'élimination complète des armes nucléaires : une déclaration solennelle en ce sens du président Hollande serait la bienvenue.
Oui au renforcement des capacités civilo-militaires européennes pour la gestion des crises, la consolidation et le maintien de la paix au service des Nations unies mais le Président de la République marquerait son originalité en travaillant à relancer et faire progresser les propositions pour que les Nations unies dirigent elles-mêmes, en collaboration avec toutes les organisations régionales, les opérations de prévention des conflits, de rétablissement de la paix et de prévention des génocides. Des propositions précises ont été faites à l'Assemblée générale de l'année 2000 par M. Brahimi, il faut accélérer leur mise en oeuvre en évitant les dérives otaniennes, mises en oeuvre en Afghanistan et en Libye.
On peut espérer qu'un large débat d'idées, qui tienne compte de l'opinion publique qui, dans les derniers sondages, se prononce à 81 % pour la diminution des dépenses militaires ou  pour des initiatives françaises en matière de désarmement nucléaire (voir sondage IFOP dans article précédent), permettrait de prendre de premières inflexions en matière de politique étrangère : c'est une condition essentielle pour affirmer alors que, dans ces domaines-là, le changement, c'est vraiment maintenant.

vendredi 25 mai 2012

Sommet de l'OTAN : la quête de la légitimité (2)

Que se cache--il derrière les déclarations abstraites de l'OTAN sur son "concept stratégique" et sur l'examen de sa "posture générale (...) s'agissant de la dissuasion et de la défense face à l'ensemble des menaces contre l'Alliance" ?
Créée il y a cinquante trois ans, l'Alliance atlantique reste, trente ans après la fin de la Guerre froide et du partage du monde en deux blocs, face à un problème existentiel non-résolu : à quoi sert l'OTAN aujourd'hui dans un monde qui a si largement changé ?
L'OTAN doit reconnaître que les menaces militaires ont quasiment disparu : elle le fait de manière ampoulée : "Bien que la menace d'une attaque conventionnelle contre l'OTAN soit faible" ou "Les conditions dans lesquelles un recours à l’arme nucléaire pourrait être envisagé sont extrêmement improbables". Du coup, elle transforme, comme le font certains stratèges militaires, les "problèmes" du monde qui relèvent soit d'une politique de prévention des conflits, soit de politique de développement, soit d'actions de justice internationale, en "menaces" sécuritaires. On y trouve pêle-mêle : "La mondialisation, les défis de sécurité émergents, comme les cybermenaces, les contraintes majeures en termes d'environnement et de ressources, y compris le risque de perturbation des approvisionnements en énergie, ainsi que l'apparition de nouvelles technologies (...) la piraterie et le terrorisme".
Cet inventaire à la Prévert, cette confusion entre sécurité et défense sur le plan militaire, présentent plusieurs avantages pour les dirigeants de l'Alliance : atténuer les éventuels renâclements de certains partenaires devants les coûts financiers de la "cotisation" OTAN, renâclements de pays comme l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas devant la persistance du stationnement de bombardiers nucléaires sur leur sol : bref, cela aide à "serrer les rangs". Cela fait le bonheur d'une bureaucratie militaire otanienne qui s'est développée et fournit un débouché de carrière prestigieux aux diplomates ou officiers, même provenant de petits pays comme le Danemark (comme le Secrétaire général Rasmussen). Cet élargissement du champ des menaces produit un élargissement géographique des missions possibles de l'OTAN (ex des routes d'approvisionnement en matières premières), y compris largement hors du territoire des états membres.
Mais en même temps, cet élargissement constitue une tentative de contourner une des grandes évolutions du monde de ces dernières décennies : l'encadrement de plus en plus net de l'usage de la force dans le cadre de la Charte des Nations unies et du Conseil de sécurité. En essayant de démontrer une capacité à prendre en compte un éventail très larges de problématiques mondiales, l'OTAN rêve d'être la "boîte à outils" incontournable de l'application des grandes décisions du Conseil de sécurité pour le rétablissement et le maintien de la paix, y compris bien sûr, en manipulant et interprétant de manière extensive les mandats donnés par les résolutions éventuelles de celui-ci. L'exemple de l'Afghanistan et de la Libye sont très clairs à cet égard.
Pour l'Afghanistan, la FIAS (IFAS en anglais) Force internationale d’Assistance et de Sécurité, a été créée le 20 décembre 2001 (résolution 1386 du Conseil de Sécurité de l’ONU) avec un mandat précis : “ aider l’Autorité intérimaire afghane à maintenir la sécurité à Kaboul et dans ses environs, de telle sorte que l’Autorité intérimaire afghane et le personnel des Nations Unies puissent travailler dans un environnement sûr ”. Le 11 août 2003, l’OTAN, qui sort de son cadre géographique, en prend le commandement. En octobre, une nouvelle résolution (1510) en étend le rôle à l’ensemble du pays.  Depuis, l'OTAN a constamment privilégié les options militaires et stratégiques régionales sur les dimensions civiles de reconstruction, éducation et développement, au mépris de la résolution de l'ONU initiale.
Pour la Libye, la résolution 1973 du Conseil de sécurité du 17 mars 2011 instaure une zone d'exclusion aérienne au-dessus du territoire de la Libye et permet de « prendre toutes les mesures jugées nécessaires pour protéger les populations civiles ». À partir du 31 mars 2011, l'ensemble des opérations sont conduites par l'OTAN dans le cadre de l'opération Unified Protector25. Au mépris du mandat initial de l'ONU, l'OTAN conduit une opération militaire, non pas de protection des populations civiles, mais de renversement du régime Kadhafi.
Les dirigeants de l'OTAN espèrent-ils profiter des crises futures et de l'absence pour l'ONU d'autres moyens ou capacité civilo-militaires propres pour devenir le seul recours disponible et en profiter pour mener des politiques très éloignées des mandats initiaux ? La question mérite d'être posée !
Cette éventualité d'engagement otanien "tous azimuts" n'est pas sans soulever des contradictions chez les États-membres. La présidence Obama semble marquer une nette inflexion de la politique étrangère étatsunienne en faveur du "smart-power" (puissance intelligente conciliant les outils du "hard-power" (puissance militaire, économie), et du "soft-power" (diplomatie, culture, capacité d’influence) et devient interrogative sur son implication trop grande dans l'OTAN, à l'efficacité douteuse. Beaucoup d'états-membres rechignent devant des interventions "hors zone" qui sont coûteuses et souhaitent un repli sur les missions strictes de défense des alliés de l'origine de l'alliance.
Dernier obstacle, les efforts pour "relégitimer" l'OTAN se heurtent à une vraie légitimité, celle-ci, en droit international, celle des Nations unies, des normes fixées par leur Charte. Or, même si les insuffisances, l'inefficacité dans le fonctionnement de certaines instances de l'ONU, sont patents, l'évolution de ces dernières décennies s'est faite en faveur de l'amélioration du droit international, de l'augmentation et de l'efficacité grandissante d'un certains nombre de Traités qui ont des conséquences positives, directes ou indirectes, sur la sécurité mondiale : tous témoins d'une place de plus en plus grandissante du "réseau onusien" dans le "tissu" mondial. Alors, où est l'avenir, quelle doit être la place demain des différentes institutions : Nations unies, Union européenne, OTAN ? Ce sont quelques unes des réflexions que devra inévitablement se poser le nouveau président de la République, François Hollande. Nous aborderons ces problématiques dans un prochain article.

jeudi 24 mai 2012

Sommet de l'OTAN : consensus de façade (1)

Le sommet de l'OTAN s'est déroulé à Chicago les 20 et 21 mai dans un climat de consensus apparent. Barak Obama et les États-Unis tenaient à ce que ce sommet, se déroulant sur leur sol, apparaisse sans heurts ni fausses notes. L'ordre du jour comprenait principalement l'examen des modalités du retrait en bon ordre de l'Afghanistan, l'avancée du "partage du fardeau" des dépenses de l'Alliance par les Européens, la confirmation des progrès du projet de bouclier anti-missiles en Europe, la consolidation de la nouvelle stratégie otanienne définie dans le "concept stratégique" adopté au sommet de Lisbonne en 2010.
Des communiqués apparemment très positifs ont été publiés sur ces questions. Le gouvernement français de M.  Eyraud (http://www.gouvernement.fr/gouvernement/le-sommet-de-l-otan-de-chicago) a estimé que "Ce sommet, qui a confirmé l’unité de l’Alliance et la solidarité des alliés, a permis au Président de la République de rappeler l’attachement de la France au lien transatlantique et son engagement au sein de l’OTAN".
Pour autant, à Chicago même, quelques milliers de manifestants d'origine diverse ont manifesté pour réclamer la dissolution de cette alliance.
Quels enseignements concrets peut-on tirer de cette réunion ?
La presse prédisait des heurts devant la volonté française de retirer les troupes nationales fin 2012, avec un an d'avance sur le calendrier initial de N. Sarkozy. En fait, comme il s'agit du seul retrait des troupes combattantes et que F. Hollande s'est engagé à continuer de laisser une présence française "conformément au traité bilatéral d’amitié et de coopération signé le 27 janvier dernier", l'annonce de ce retrait n'a pas desservi la présidence Obama qui pousse discrètement à l'accélération du retrait. L'ensemble du dispositif combattant otanien devrait passer le relais aux troupes gouvernementales afghanes avant la fin 2014. Comment évoluera ensuite la situation sur le terrain pour les forces afghanes, malgré l'assistance technique des pays de l'OTAN, peu sont capables de le dire. Le bilan de la présence militaire de l'OTAN, de son interprétation de la mission initiale donnée par le Conseil de sécurité de l'ONU, apparaît largement comme un échec.
Le deuxième sujet de la Conférence de Chicago était consacré à la confirmation d'une "capacité intérimaire de défense anti-missile", la première des quatre étapes devant mener à la mise en oeuvre complète à l'horizon 2018-20 du bouclier anti-missile voulu et dirigé par les États-Unis. Pour apaiser les craintes russes, il a été redit que le dispositif visait d'abord l'envoi de missiles vers l'Europe en provenance de pays hostiles comme l'Iran. Il sera composé d'un radar ultra-puissant installé dans l'Anatolie turque, de missiles déployés sur des frégates postées en Méditerranée et d'intercepteurs implantés en Pologne et en Roumanie.         
Ces précisions n'ont pas diminué l'hostilité russe dont le gouvernement invité à Chicago n'était représenté que par des personnalités de second rang. François Hollande s'est déclaré, dimanche 20 mai, "rassuré" quant aux garanties apportées sur la création d'un bouclier antimissile et estimé qu'il "ne peut pas être question que des pays puissent être menacés par ce dispositif antimissile". Pour le gouvernement français, ce dispositif s'inscrit "dans le respect de quatre exigences auxquelles la France est attachée : cette capacité ne se substitue pas à la dissuasion nucléaire ; elle est placée sous le contrôle politique des États ; elle s’inscrit dans un esprit de maîtrise des coûts ; elle devra davantage impliquer l’industrie européenne". Il faut pourtant noter que, par nature, un bouclier antimissile est une "menace" pour un pays concerné puisqu'il vise, en protégeant complètement un pays, à introduire un déséquilibre stratégique en empêchant toute attaque efficace de ce dit pays. il amène donc inévitablement une relance de la course aux armements en "obligeant" le pays concerné à essayer d'imaginer des armes plus puissantes visant à "percer" le bouclier prévu. C'est ce qui commence à se passer avec les nouvelles augmentations de budgets militaires russe et chinois.
Concernant le troisième volet du projet joliment appelé "smart defense" ou "défense intelligente", il vise essentiellement à trouver de nouvelles formes pour obliger les pays européens membres de l'OTAN à plus contribuer aux dépenses militaires de l'Alliance. Il consiste à proposer à des groupes de pays à la composition variable de développer et financer des projets militaires partiels mais réutilisés ensuite par tous les membres. Une vingtaine de projets de coopération ont été ainsi labellisés. Cela résoudra-t-il les difficultés financières auxquelles doit faire l'OTAN ? Cela paraît difficile : en 2008, l'impasse budgétaire (en partie réglée depuis) était de 9 milliards d'euros de programmes engagés pour un budget annuel d'investissement de 600 millions....
Un autre point abordé lors de ce Sommet de Chicago a été moins médiatisé : il s'agit du texte adopté concernant la "Revue de la posture de dissuasion et de défense". Ce texte reprend  la posture générale de l'OTAN face à l'ensemble des menaces contre l'Alliance qui avaient été définies de manière très large et globale dans le concept stratégique de l'OTAN défini à Lisbonne. Ce communiqué réaffirme que "Les armes nucléaires sont une composante essentielle des capacités globales de dissuasion et de défense de l'OTAN, aux côtés des forces conventionnelles et des forces de défense antimissile".
Que cache cette volonté de faire référence à des "menaces" très larges depuis la mondialisation, les cybermenaces, le risque de perturbation des approvisionnements en énergie, etc.. Volonté de jouer le "bras armé" mondial des États-Unis ou/et nécessité de justifier au 21e siècle la légitimité d'une alliance datant du milieu du siècle précédent ? Ce sera le sujet du prochain article..

mercredi 16 mai 2012

Vienne 2012 (TNP) : satisfaisant mais peut mieux faire... (7 - fin)

Le comité préparatoire à la Conférence du TNP à Vienne s'est achevé vendredi dernier, 11 mai. Le jeudi soir, le Président du Comité, l'ambassadeur d'Australie, Peter Wolcott, a déposé un résumé de cette session en 100 points et 16 pages. Ce résumé qui n'a pas été soumis au vote a été enregistré comme document de travail au bilan de la Conférence.
Aucune décision n'a été été prise au cours de cette session qui visait d'abord a lancer un nouveau cycle de discussion du TNP 2012-2015. Mais ce résumé, même s'il est purement factuel, permet "d'acter" comme on dit maintenant, les grands sujets qui ont été abordés pendant ces dix jours. Il montre clairement la préoccupation de nombreux états sur les conséquences humanitaires inacceptables sous l'angle du droit humanitaire de l'usage des armes nucléaires. Il montre également que grandit la condamnation des processus de "modernisation" des armes nucléaires comme autant d'obstacles au processus de désarmement nucléaire. De plus, très nombreux sont aujourd'hui les états qui condamnent la place persistance sur le plan idéologique des doctrines de dissuasion nucléaire comme des obstacles aux progrès des idées de désarmement et d'élimination complète des armes nucléaires donc, comme contraires à l'esprit du TNP.
Le résumé montre le consensus existant autour des décisions du plan d'action prises lors de la Conférence du TNP de 2010 à New-York et souligne le climat positif de la rencontre de Vienne. Mais il montre aussi que peu de décisions concrètes ont été mises en oeuvre pour appliquer ce plan d'action, notamment dans son volet désarmement nucléaire, et qu'il reste beaucoup d'efforts à faire pour aboutir en 2015 à une Conférence d'examen qui puisse présenter de réels progrès sur les trois volets du TNP : désarmement nucléaire, non-prolifération et usage civil de l'énergie atomique.
Donc, si la dynamique positive de 2010 a été maintenue, il reste à lui fournir des débouchés concrets : espérons que la décision de tenir, sans doute, en décembre, une Conférence sur la création d'une zone exempte d'armes de destruction massive au Moyen-Orient, ira à son terme avec tous les pays concernés de la région (donc avec Israël et l'Iran).  Souhaitons que la décision de la Norvège de tenir au printemps 2013 une Conférence sur les conséquences humanitaires de l'usage des armes nucléaires, eu égard au droit international, permette d'amplifier un grand courant d'opinion international en faveur de l'élimination complète des armes nucléaires qui reste le but ultime des efforts pour établir une meilleure sécurité internationale.
Face à ces enjeux, la diplomatie française a été peu créative pendant les travaux de ce comité, en répétant sans convaincre les arguments développés durant la Présidence Sarkozy. Il faut souhaiter que la nouvelle présidence française saura réfléchir, travailler à une approche plus large de la problématique du désarmement nucléaire, que François Hollande sera capable au minimum de se hisser au niveau du président Obama en affirmant avec force la volonté de construire un monde débarrassé des armes nucléaires. Une première occasion pourrait être saisie ce week-end lors du sommet de l'OTAN à Chicago pour marquer un infléchissement : la diplomatie française pourrait se rapprocher des diplomaties allemande, belge et néerlandaise pour travailler au démantèlement des dernières bombes nucléaires américaines présentes encore sur le sol européen, sur les bombardiers stratégiques basés sur plusieurs aéroports et dont la présence n'a plus aucune justification stratégique...
La diplomatie allemande a été très irritée jusqu'à présent de l'insistance de Nicolas Sarkozy à maintenir ces bombes nucléaires US, une évolution aiderait certainement à améliorer cet aspect des relations franco-allemandes...

jeudi 10 mai 2012

Vienne 2012 : petits pas pour un Moyen-Orient dénucléarisé (6)


La séance du 8 mai de la commission préparatoire à la Conférence du TNP (Traité de non-prolifération nucléaire) qui se déroule à Vienne a été consacrée à la problématique de la création d'une zone exempte d'armes de destruction massive au Moyen-Orient. Cette proposition est contenue dans une résolution adoptée par consensus en 1995, lors de la Conférence du TNP. Elle fut reprise et soutenue avec insistance dans le texte du "plan d'action" de la Conférence du TNP de 2010. En application de ce plan, le Secrétaire général des Nations unies et les trois gouvernements "sponsors" de la résolution en 1995 (États-Unis, Royaume-Uni et Russie) ont missionné le ministre des Affaires étrangères de Finlande, M. Jaaklo Laajava comme "facilitateur", pour organiser une conférence sur la question en 2012 en Finlande, en s'assurant du soutien des états de la région et de celui des états nucléaires.
M. Laajava a fait le point de ses efforts dans un rapport comportant des éléments encourageants mais aussi des interrogations. Il a mené une centaine d'entretiens auprès de tous les gouvernements de la régions, des puissances nucléaires, des ONG internationales, de la société civile des pays concernés.  il n'a pas rencontré d'oppositions, il lui apparaît que décembre 2012 serait la meilleure date pour cette Conférence et dans ce but, toutes les dispositions pratiques sont déjà prises. Mais... il n'a pas reçu une confirmation ferme de tous les états de la région sur leur participation à cette conférence, et il n'y a pas encore de confirmation de tous sur la date précise de la Conférence. Il conclut qu'il reste encore des efforts à faire pour surmonter les derniers obstacles.
Le débat qui a suivi le rapport de M. Laajava n'a pas apporté d'éléments nouveaux : tous les diplomates ont redit l'importance que leur pays attachait à cette Conférence, les conditions à remplir pour le succès de celle-ci mais sans proposition nouvelle précise.
Les pays non-alignés, tout comme le groupe des pays arabes ou l'Iran soutiennent la Conférence de 2012 mais insistent pour qu'israël renonce à ses armes nucléaires et rejoigne le TNP comme pays non-nucléaire ("non-doté") et demandent l'accélération des efforts diplomatiques du "facilitateur".
Les États-Unis ainsi que les trois pays "sponsors" insistent sur la responsabilité des pays de la région. Les USA estiment que la paix régionale est une condition voire un préalable à un accord et ont renouvelé leurs attaques sur la politique prolifératrice de l'Iran et de la Syrie.
Certaines ONG (voir NPT News in Review du 9 mai) relèvent que la "conformité" au Traité semble à plusieurs vitesses : certains états peuvent échapper depuis plus de 15 ans à la mise en oeuvre d'une Résolution adoptée par consensus, ou à la mise en oeuvre du chapitre VI sur le désarmement nucléaire alors que le manquement à d'autres articles sur le contrôle de la non-prolifération par ex, déclenche immédiatement des mesures de rétorsion.
C'est pourquoi la réussite de la mise sur pied de cette Conférence de décembre 2012 sur l'examen de la mise en oeuvre d'une zone sans armes nucléaires et de destruction massive au Moyen-Orient est essentielle, tant en terme de paix et de détente régionales, qu'en terme de consolidation (et confiance) du TNP lui-même.


mardi 8 mai 2012

Vienne 2012 : sortir des raisonnements spécieux (5)

Jeudi 3, vendredi 4 et lundi 7 mai, les discussions au comité préparatoire de la conférence du TNP ont porté sur des sujets plus précis : désarmement nucléaire et assurances de sécurité (chapitre 1), non-prolifération (chapitre 2). Cela a obligé les diplomates à des argumentations plus serrées, ce qui amène à des réflexions de fond sur le traité de non-prolifération nucléaire, ses contradictions internes, son devenir possible.
Les pays nucléaires ont essayé de montrer qu'ils faisaient des efforts en réduisant leurs armes en quantité mais ont continué de justifier la "modernisation" de leurs arsenaux, leurs placements en dehors de leurs territoire (bombes US en Europe) et surtout, continué de justifier leur doctrine de dissuasion nucléaire au nom de leur sécurité. Or si, la possession d'armes nucléaires continue d'être proclamée "essentielle" pour la sécurité de certains pays, comment justifier qu'elle ne l'est pas pour tous les autres, et comment appliquer un traité dont l'article VI vise à l'élimination totale de ces armes si essentielles ? Cette contradiction, à elle seule, mine l'essence même du TNP !
Les pays nucléaires, notamment États-Unis, France, Royaume-Uni, ont tous déclaré que leur doctrine nucléaire était compatible avec le droit international "comme l'a rappelé l'avis consultatif de la Cour internationale de justice du 8 juillet 1996" (France), que "le niveau pour l'utilisation légitime des armes nucléaires" était extrèmement élevé (Royaume-Uni), que "une analyse sérieuse de la légalité d'un hypothétique usage des armes nucléaires devait prendre en compte les circonstances précises de cet usage..." (USA). Ces réactions visent à allumer un "contre-feu" à la déclaration conjointe de 16 pays (*), jeudi dernier, sur les conséquences humanitaires inacceptables des armes nucléaires. Celle-ci faisait écho à une déclaration conjointe de la Croix-Rouge et du Croissant rouge internationaux en novembre dernier. Le fait que la Norvège ait annoncé qu'elle organiserait une Conférence internationale au printemps 2013 sur ce thème a fait monter la pression. La riposte de certains pays nucléaires est donc très défensive et un signe de leurs difficultés politiques.
Une longue déclaration des 5 puissances nucléaires ("P5") a été publiée jeudi. Celle-ci frise le ridicule : elle comporte par exemple, un paragraphe appelant tous les pays concernés à adhérer au Traité d'interdiction des essais nucléaires (TICEN) alors que deux d'entre eux (Chine et USA) ne l'ont toujours pas ratifié ! C'est l'officialisation du double langage !
Certains observateurs (voir NPT News in Review sur http://reachingcriticalwill.org ) notent aussi que ces trois jours de débat posent le problème de la conduite même de la discussion et de l'approche de l'application du traité. L'impression ressort que les "P5" voudraient contrôler le débat à leur manière : valoriser leur conception de la mise en oeuvre des recommandations du plan d'action de la Conférence de 2010, décider de ce qui est acceptable ou non-acceptable dans les sujets soulevés par les pays non-nucléaires et dans leur interprétation des termes du Traité.
Cela a particulièrement été net dans la discussion sur le chapitre sur la non-prolifération. Les P5 veulent des dispositions pointilleuses sur les contrôles exercés par l'AIEA pour vérifier que les pays non-nucléaires ne se livrent pas à des activités prolifératrices mais refusent tout resserrement du contrôle sur leurs activités de "modernisation" d'armes nucléaires, y compris en refusant que soient mis au point des formulaires normalisés précis pour en rendre compte.
La question du respect mutuel des deux composantes des pays signataires du TNP, de leur égal engagement est décisive pour la réussite du processus : c'est ce qui avait fait le succès des discussions en 2010... Il n'y a pas des pays "raisonnables" qui seraient les P5 et une masse de pays "déraisonnables" parmi les pays non-nucléaires. Il faut donc éviter les raisonnements spécieux du genre : "tant qu'il y aura des armes nucléaires, les puissances nucléaires devront les conserver..." car "tant que les puissances nucléaires ne désarmeront et n'élimineront pas, il y aura toujours des arme nucléaires..." !
De nouveaux efforts doivent être accomplis pour surmonter les blocages. Le cycle du TNP 2007-2010 avait vu les avancées sur le projet de Convention d'abolition bousculer des positions... On peut penser que, pendant le cycle 2012-2015, le débat sur les conséquences humanitaires des armes nucléaires sera susceptible de provoquer de nouvelles avancées en bousculant certaines fausses logiques. Ainsi la conférence annoncée par la Norvège portera sur les raisons et nécessité de l'ÉLIMINATION des armes nucléaires au lieu de porter sur le contrôle, la réduction mais aussi, en fait, la CONSERVATION des armes nucléaires comme c'est le plus souvent le cas. Une sorte de révolution copernicienne....
(*) Afrique du Sud - Autriche - Chili - Costa Rica - Danemark - Égypte - Indonésie  - Irlande - Malaisie - Mexique - Nouvelle-Zélande - Nigéria - Norvège - Philippines - Saint-Siège (Vatican) - Suisse


jeudi 3 mai 2012

Vienne 2012 : la parole des ONGs (4)


Après l'interruption de la journée du 1er mai, la séance générale de la 1ère session préparatoire du TNP, à Vienne, s'est déroulée par la suite des interventions des pays non-nucléaires. De ce fait, le sentiment dominant de ces interventions était la frustration de ces délégations devant le piétinement des discussions sur le désarmement nucléaire des grandes puissances. L'Iran s'est placé dans le rôle du vertueux sur ce plan sans vraiment convaincre, bien que son représentant ait gardé le positionnement plus coopératif adopté lors de la rencontre à Instanbul en avril avec les représentants des six pays du groupe de contact sur son programme nucléaire civil.
L'illustration de l'impatience non-nucléaire est illustrée par la déclaration commune publiée par 16 pays qui reviennent sur les dimensions humanitaires de l'usage éventuel d'armes nucléaires telles que l'ont exposées notamment la Croix-rouge internationale et le Croissant rouge.
Ils rappellent que "l'utilité de ces armes de destruction massive face aux défis de sécurité traditionnels est contestée par de nombreux États aussi bien que par des experts de la société civile". Ils rappellent que ces armes ne doivent jamais être utilisées et que la seule garantie en est leur "élimination totale, irréversible et vérifiable".
Ils souhaitent que cette dimension humanitaire des conséquences de l'usage des armes nucléaires, de leur non-conformité au droit international humanitaire soit examinés plus précisément lors de cette conférence et lors des décisions de la future Conférence d'examen de 2015. Les mêmes préoccupations ont été exprimées l'après-midi lors des exposés faits par les représentants des ONG aux diplomates. Le maire de Nagasaki M. Tomihisa Taue, et un hibakusha ont rappelé la souffrance des victimes des bombardements de 1945. Les représentants du réseau ICAN (voir articles précédents) ont exposé la volonté de la société civile de voir avancer les négociations sur un traité, une Convention sur l'abolition complète des armes nucléaires.
Dans cette même journée, lors d'une conférence parallèle organisée par Abolition 2000 Europe, l'ancien ministre de la Défense français, Paul Quilès, a fait une intervention remarquée, en déclarant que dans le monde d'aujourd'hui, il fallait que "l'élimination des armes nucléaires soit le fer de lance d'un nouveau concept de sécurité internationale". C'est la raison pour laquelle il s'associe aux efforts des réseau Global Zero et des Maires pour la paix. Paul Quilès a présenté un ensemble de onze propositions d'actions que la France pourrait initier pour relancer le processus d'élimination des armes nucléaires. Ces propostions soit très concrètes, soit plus symboliques, inspireront, espérons-le, le nouveau Président de la République française qui sortira des urnes ce dimanche...



mardi 1 mai 2012

Vienne 2012 : un climat positif (3)


Ce lundi 30 avril s'est ouverte la séance plénière officielle du Comité préparatoire à la conférence d'examen du TNP de 2015 sous la présidence de l'ambassadeur d'Australie Peter Woolcott.
Cette séance d'ouverture n'apporte pas en général de grandes nouveautés mais permet aux représentants des états d'afficher une "posture" et donne une indication du climat général dans lequel se déroulera la Conférence. Cette réunion de 2012 s'annonce plutôt sereine même si des discussions politiques serrées auront lieu au fil des séances suivantes.
Tous les intervenants ont confirmé qu'ils jugeaient positivement les résultats de la conférence de 2010 à New-York et son "plan d'action" adopté par consensus. Plusieurs délégations ont relevé que, pour la première fois de l'histoire du TNP, les trois "piliers" du TNP (désarmement, non-prolifération, usage pacifique de l'énergie atomique) figuraient également dans le texte final. Un autre élément positif relevé par tous est la décision de travailler à une zone sans armes de destruction massive au Moyen-Orient.
L'ambassadrice des USA, Mme Susan F. Burk, dans une déclaration lyrique, a souligné que s'était dégagée en 2010 l'expression d'un "multilatéralisme positif et constructif"... Elle est revenue sur les déclarations du Président Obama pour un monde sans armes nucléaires et a rappelé que le TNP était le seul accord international ayant un volet sur le désarmement nucléaire. On peut penser que ce discours était d'autant plus lyrique que l'administration Obama à six mois de l'élection présidentielle n'a pas de proposition concrète à présenter... Mais le ton positif de Mme Burk crée un climat bien différent de la conférence de 2005 lorsque le représentant américain, M. John Bolton, déclarait qu'il n'y avait pas de pilier de désarmement dans le TNP !
Derrière l'apparent consensus sur les résultats de 2010 ont pointé malgré tout les insatisfactions de nombreux pays sur la nécessité de ne pas se contenter de déclarations ou de "plan d'action" mais de les appliquer concrètement. L'ambassadeur d'Égypte, M. Fathalla, qui parlait au nom des pays non alignés, l'a exprimé clairement et demandé aux puissances nucléaires des preuves concrètes de leur "engagement sans équivoque" pris en 2000 et renouvelé en 2010 d'aller vers un monde sans armes nucléaires. Il a insisté sur l'urgence de définir un cadre légal pour que les pays non-nucléaires reçoivent des garanties de sécurité au travers d'un accord légal, qu'ils ne soient plus menacés d'attaques nucléaires par les pays possesseurs. Cette exigence a été reprise par de nombreuses délégations africaines ou asiatiques.
En début de séance, la nouvelle responsable du désarmement aux Nations unies, Mme Angela Kane, avait rappelé les cinq propositions de désarmement nucléaire du Secrétaire général Ban Ki-moon, dont la négociation d'une Convention d'abolition de ces armes. Elle a aussi rappelé que dans le texte adopté en 2010, figurait la reconnaissance des conséquences humanitaires catastrophiques de l'usage des armes nucléaires et l'affirmation de "la nécessité pour tous les états à tout moment de se conformer avec la loi internationale, incluant le droit humanitaire international".
Cette notion de dimension humanitaire du désarmement nucléaire a été reprise par l'ambassadeur suisse dans son intervention : on annonce d'ailleurs que mercredi prochain, une quinzaine de pays vont déposer une résolution sur cette question.
L'ambassadeur de France, M. Jean-Hugues Simon-Michel, a réaffirmé que la France soutenait le plan d'action de la conférence de 2010. Il n'a pas jugé bon de rappeler, contrairement aux ambassadeurs US, britannique et chinois, que la politique française s'inscrivait dans la perspective d'un monde sans armes nucléaires, même s'il a déclaré que notre pays "n'éluderait pas ses responsabilités particulières" de puissance nucléaire. Pour illustrer les efforts faits, il a annoncé que la France avait "atteint l'objectif fixé en 2008 par le Président de la République de réduire d'un tiers la composante aérienne de notre force de dissuasion".
Qu'est-ce que cela signifie ? Il y a eu une réorganisation des trois escadrons d'avions porteurs de missiles à têtes nucléaires qui sont désormais deux : un à Istres et un à Saint-Dizier (au lieu de un à Istres et deux à Luxeuil-les-Bains).
Plusieurs experts ont fait remarquer que cette réorganisation s'accompagne en fait d'une modernisation : les avions Mirage IV-N sont remplacés par des Rafale à Saint-Dizier et le seront en 2018 à Istres. Les missiles nucléaires ASMP ont été remplacés par des nouveaux missiles ASMPA, de portée plus longue. Au total, ce sont 40 avions et 40 missiles qui sont opérationnels plus 10 avions et 10 missiles sur le porte-avions Charles-de-Gaulle. Cette "2e composante" a donc en fait été complètement modernisée. La validité de son existence est posée : elle n'a pas, quoiqu'en dise l'état-major, de véritable justification stratégique ou pré-stratégique. Ne pourrait-on craindre que, dans une éventuelle évolution de la doctrine nucléaire française, ces missiles prennent une vocation non dissuasive mais offensive dans une crise régionale ?
L'exigence que la diplomatie de désarmement française prenne en compte l'évolution de l'opinion publique qui demande à 81 % des initiatives pour la négociation d'une Convention d'abolition des armes nucléaires reste donc posée.
Après une suspension pour le 1er mai, la Conférence reprendra sa séance plénière mercredi, toujours avec des interventions générales des états. Par contre, la séance de l'après-midi verra un large moment consacré à l'écoute par les diplomates des représentants des ONG, qui exposeront leurs arguments et vision d'un monde sans armes nucléaires. Jeudi, la discussion générale sera dédiée aux différents aspects du pilier "désarmement" ("Cluster 1") du TNP.



dimanche 29 avril 2012

Vienne 2012 : nouvelles stratégies pour les ONG ? (2)


Comme je le signale dans mon premier article, des points ont été marqués dans les dernières années par les abolitionnistes nucléaires : le soutien à la Convention d'abolition grandit au sein de l'Assemblée générale de l'ONU, Ban Ki moon, le secrétaire général, a repris cette proposition dans ses "cinq points pour le désarmement". Mais en même temps, une certaine frustration se fait jour chez beaucoup d'ONG et parmi les États non-nucléaires. Les textes adoptés, même s'ils sont plutôt bons comme en 2000 ou 2010 sont peu ou pas mis en oeuvre. Et surtout le paradigme dominant reste la primauté au "réalisme", au nom duquel les états nucléaires disent que "le nucléaire ne peut être désinventé", que "la dissuasion nucléaire reste la meilleure police d'assurance" en terme de sécurité, affirmations qui conduisent à privilégier systématiquement les discussions sur les mesures de non-prolifération et non les mesures de désarmement.
Ce désenchantement devant la stagnation des processus de contrôle des armements, des négociations de désarmement provoque depuis plusieurs mois un débat dans certaines ONG comme ICAN (Campagne internationale pour l'abolition de l'arme nucléaire). Ne faut-il pas changer de "terrain de jeu", ne pas se confiner au terrain des dimensions militaires et stratégiques des armes nucléaires mais poser aussi le problème de leur "inacceptabilité" morale et humaine, en regard notamment des conséquences humanitaires catastrophiques qu'elles auraient pour les populations d'une région, d'un continent ou de la planète entière ?
En novembre dernier, la Croix Rouge Internationale et le Croissant-Rouge - qui comptent près de 100 millions de membres et bénévoles du monde entier- ont adopté une résolution historique soulignant les dangers humanitaires des armes nucléaires et appelant les gouvernements à «poursuivre de bonne foi et à conclure des négociations avec urgence et détermination pour interdire l'utilisation et éliminer complètement les armes nucléaires par un accord international juridiquement contraignant".
Ce nouvel intérêt pour les conséquences humanitaires de l'usage des armes nucléaires, ajouté au traumatisme après la catastrophe de Fukujima, les partenariats qui se développent entre sociétés civiles, états non-nucléaires, engagements de parlementaires et d'élus pour créer les conditions de l'interdiction de l'arme nucléaire, font dire à une chercheuse comme Rebecca Johnson (lire sur le site d'Acronym - http://www.acronym.org.uk/articles - "Decline or Transform: Nuclear Disarmament and Security Beyond the NPT Review Process") qu'il est temps de se tourner vers une nouvelle approche : celle du "désarmement humanitaire". Donc, comme cela a été fait et réussi pour les mines antipersonnel, poser le problème sur le plan du droit international humanitaire et lancer un processus de pression citoyenne et de négociations multilatérales sans attendre le consensus de tous les états...
Un tel processus viserait, à côté de la pression "classique" sur les états, sous l'angle des dimensions militaires et de sécurité lié à la POSSESSION des armes nucléaires, à développer une action de sensibilisation en direction de l'opinion publique sous l'angle des conséquences humanitaires lié à l'USAGE éventuel des armes nucléaires.
Une Conférence d'ICAN en discute ce week-end à Vienne : ces thématiques seront-elles aussi abordées dans les autres réseaux d'ONG ? Les débats dans les réunions et initiatives des réseaux Abolition 2000, PNND (Parlementaires pour le désarmement nucléaire), Reaching Critical Will seront intéressants à suivre...
Nous reviendrons dans d'autres articles sur les problématiques soulevées.