mardi 19 avril 2011

Désarmement : quelques nouvelles..

Le débat sur l'usage de la force en Libye et en Côte d'Ivoire a fait passer au second rang les informations relatives au désarmement. Voici quelques nouvelles de ce premier trimestre 2011 :
- Dépenses militaires : elles se sont élevées en 2010 au chiffre scandaleux de 1630 milliards de dollars US, selon l'institut SIPRI: Stockholm International Peace Research Institute.
Certes, elles n'ont augmenté "que" de 1% depuis 2009 mais ce ralentissement.. de la hausse est dérisoire par rapport à l'ampleur proclamée de la crise financière mondiale. Les dépenses militaires des États-Unis représentent 43 % des dépenses mondiales. Leur croissance a certes ralenti mais « les États-Unis ont augmenté leurs dépenses de 81 % depuis 2001 », indique le SPIRI dans un communiqué. « À 4,8 % du PIB, le fardeau militaire des États-Unis en 2010 est le plus lourd au monde après celui du Moyen-Orient », ajoute-t-il.
Les dépenses en armement du Moyen-Orient ont augmenté de 2,5 %, (111 milliards de dollars). Celles de l'Asie ont progressé de 1,4 %, celles de l'Europe ont diminué de 2,8 %, notamment avec la crise économique grecque. Par contre, il est préoccupant de constater que l'Amérique du Sud a connu la plus forte augmentation de ses dépenses militaires en 2010 avec une hausse de 5,8 % (63,3 milliards de dollars, chiffre certes moins élevé que d'autres régions du monde). En Afrique, l'augmentation la plus forte se situe chez les grands producteurs de pétrole africains, comme l'Algérie, l'Angola et le Nigéria qui ont fait grimper les dépenses en armement du continent de 5,2 %.
On peut comprendre que le Haut-représentant des Nations unies pour le désarmement, Sergio Duarte, ait indiqué mercredi dernier que l’argent dépensé par les États pour atteindre leurs objectifs tels que l’éradication de la pauvreté, l’éducation pour tous les enfants et apporter des soins sanitaires décents représentait toujours une fraction de ce qu’ils dépensent pour s’armer
«Moins du dixième des dépenses militaires annuelles aurait suffi pour atteindre les OMD (Objectifs du Millénaire pour le Développement) et sortir toute la population de la pauvreté extrême d’ici 2015», a-t-il affirmé.
Armes nucléaires :
- Bonne nouvelle : l'Ukraine a terminé jeudi dernier la destruction de l'intégralité des vecteurs d'ogives nucléaires et des armes de destruction massive, héritées de l'Union soviétique, se trouvant sur son sol, a confirmé le chef du département de recyclage et de déminage civil de l'entreprise Ukroboronservice, Konstantin Darkin au terme d'une cérémonie organisée dans la région de Khmelnitski (ouest) à l'occasion de la destruction du dernier missile soviétique Scud B.
- autre bonne nouvelle : le Siège des Nations unies, à New-York, présente depuis le 24 mars, deux tours de trois mètres de haut, formées par les 1,02 millions de signatures de pétitions, collectées par les "Maires pour la paix" pour la conférence du TNP de mai 2010 ("Les cités ne sont pas des cibles !"). Ce "monument", oeuvre d'art, a été inauguré par Ban Ki-moon et Michael Douglas, messager de la paix. Cette "installation" est la première oeuvre d'art permanente, provenant entièrement de la société civile, à figurer dans le hall des Nations unies.
- à savoir : Après les élections municipales du 10 avril à Hiroshima, le nouveau maire s'appelle M. Kazumi Matsui. C'est lui qui devient le nouveau président de "Mayors for peace" (Maires pour la paix) : souhaitons-lui bonne réussite et bon travail comme l'avait accomplis son prédécesseur M. Tadatoshi Akiba, devenu professeur à l'Université d'Hiroshima.
- Mauvaise nouvelle ? La Conférence du désarmement à Genève piétine toujours depuis treize ans et a achevé sa session du premier trimestre sans adopter de programme de travail. Certes, en début d'année, certains signes semblaient encourageants : les délégations d'Australie et du Japon avaient organisé des séminaires parallèles permettant de creuser certaines définitions et vérifications relatives à un éventuel traité d'interdiction des matières fissiles nucléaires ("cut-off"), des séances thématiques avaient eu lieu, y compris en lien avec la société civile. Mais le débat s'est de nouveau enlisé sur la nature du programme à voter, et surtout sur l'opposition entre le Pakistan seul état à refuser de discuter d'un Traité sur les matières fissiles et les positions intransigeantes des pays nucléaires et de l'Union européenne, en particulier de la France, refusant d'explorer toute voie originale ou inventive pour surmonter la crise.
Avant la reprise des séances prévue mi-mai, des voies s'élèvent, soit pour dire que le débat pourrait explorer d'autres domaines comme l'interdiction de la militarisation de l'espace (négociations PAROS), sujet qui semble évoluer positivement, soit, hypothèse plus risquée, de conduire des discussions ou négociations en dehors de la Conférence du désarmement...
Armes biologiques :
À Genève se déroule une réunion préparatoire à la 7e conférence d’examen de la Conférence d'interdiction des armes biologiques (CIAB), qui se déroulera en décembre 2011 à Genève. La CIAB compte 163 Etats-parties et 13 signataires, 19 pays ne l’ont encore ni signée, ni ratifiée. Rappelons que le point faible de cette Convention est de ne pas comporter de véritable dispositif de vérification au contraire de celle sur les armes chimiques (CIAC). George W. Bush avait fait capoter les négociations sur le point d'aboutir en 2002. Depuis, des progrès timides vers la confiance ont été faits mais un long chemin reste à parcourir sur un sujet très dangereux, avec de nouvelles générations d'armes biologiques risquant d'apparaître.


jeudi 14 avril 2011

L'après Libye - Côte d'Ivoire : les débat de demain

Les situations en Côte d'Ivoire et même en Libye prennent un nouveau cours. L'arrestation de Laurent Bagbo rétablit une situation juridique normale dans le pays. Mais le président A. Ouattara, malgré sa légitimité, doit maintenant mettre en chantier la réconciliation dans la population, permettre le jugement impartial de tous les crimes de guerre ou atrocités commis par tous les camps, travailler au redémarrage de la vie économique et sociale. Il a annoncé la création d'une commission "vérité et réconciliation", l'ONU a créé une commission d'enquête avec trois personnalités : leurs résultats seront essentiels. L'ONUCI s'est engagée à aider au retour à l'ordre républicain et à la sécurité intérieure. Il est clair que la France devrait, pour clarifier ses rapports avec le pouvoir, annoncer le retrait de la force Licorne tandis que l'ONUCI devrait être renforcée temporairement pour garantir la transition politique en faisant appel à des forces africaines supplémentaires.
En Libye, les propositions de l'Union africaine pour un cessez-le-feu et une période de transition doivent être soutenues. Les pays dits de "la coalition" (dont la France) doivent faire pression pour que les opposants à Khadafi acceptent un processus négocié. M. Juppé fait une interprétation déformée de la résolution 1973 du Conseil de Sécurité : celle-ci n'implique pas un départ de M. Khadafi mais un arrêt réel de toutes les opérations militaires de celui-ci (et de ses opposants). La zone d'exclusion aérienne a été créée, le volet militaire doit donc aujourd'hui faire place au volet diplomatique et au renforcement des pressions politique, notamment sur l'entourage du dirigeant libyen.
Même si la situation reste préoccupante dans ces deux pays (sans négliger ce qui se passe ailleurs notamment en Syrie, au Bahrein et à Gaza), il n'est peut-être pas trop tôt pour commencer d'ouvrir la réflexion sur la période que nous venons de vivre.
Un des éléments centraux des événements en Afrique du Nord, au Moyen-Orient, en Côte d'Ivoire et dans d'autres pays africains est l'aspiration grandissante à la vie démocratique et à l'ouverture des sociétés. L'élargissement des moyens d'information n'y est pas pour rien. Cette aspiration, dans plusieurs pays (pas tous certes), s'est exprimée au travers de mouvements populaires trouvant des formes d'action nouvelles au delà des structures organisationnelles anciennes, à l'aide des "réseaux sociaux" (Facebook, mails) en particulier.
Les Nations unies, au travers de résolutions au contenu nouveau centré sur la nouvelle notion de "responabilité de protéger", se sont trouvées au centre du règlement de ces problèmes. Elles n'ont pas été "instrumentalisées", non déplaise à certaines analyses "anti-impérialistes", ossifiées sur des schémas hérités de la Guerre froide. Par contre, comme il ne faut pas être naïf, il faut constater que chaque élaboration de résolution, chaque interprétation, chaque mise en oeuvre ont été l'objet d'une bataille politique et diplomatique féroces de certaines grandes puissances du Conseil de sécurité (USA, France et Grande-Bretagne) pour les détourner au profit de leurs intéêts stratégiques, politiques, économiques. D'autres comme Chine et Russie ne sont pas opposées à ces avancées de la sécurité humaine, mais n'ont pas essayé de mieux cadrer les manoeuvres des puissances occidentales (N.B : un changement semble heureusement s'amorcer avec la résolution des pays du B.R.I.C -Brésil, Russie, Inde, Chine- aujourd'hui à Pékin). Dans toutes ces crises, les organisations régionales, Union africaine et CEDEAO, Ligue arabe ont joué un rôle de plus en plus important malgré encore beaucoup de confusions dans leurs rangs.
Les opinions publiques et ONG ont peu pesé dans les débats car elles ont eu du mal à sortir de leur fonction protestaire ("Non à la guerre") pour peser et dire "Oui à la protection des civils, Oui au respect strict du droit international dans l'utilisation de la contrainte, Oui au contrôle exclusif par l'ONU"
Si on veut continuer de faire avancer le droit international ET limiter, voire empêcher les manipulations et manoeuvres des grandes puissances, il est nécessaire d'ouvrir le débat sur un certain nombre de problèmes.
Comment limiter l'ambiguïté de certaines résolutions au Conseil de sécurité cermettant l'usage de la force comme dans la résolution 1973 ("prendre toutes mesures nécessaires" pour...). Dans les années 2000, une proposition avait été avancée qui devrait être remise aujourd'hui dans le débat : imposer un code de bonne conduite pour l'application par les membres du Conseil de sécurité du Chapitre VII de la Charte des Nations unies (celui autorisant l'usage de la force), délimitant plus précisément les conditions et cadres de sa mise en oeuvre, imposant plus systématiquement un volet civil et politique prioritaire.. C'est un champ d'action important à investir par la société civile.
Lorsque la force militaire semble nécessaire, comment éviter que par "obligation d'efficacité", l'ONU et les membres du Conseil de sécurité ne fassent appel à l'OTAN ? Il y a deux volets à une réponse possible : multiplier les alternatives à l'OTAN au niveau des "vraies" organisations régionales pour tout ou partie des demandes. Au lieu de discours sur une défense européenne qui reproduirait les mêmes schémas de militarisations qu'aujourd'hui, comment réfléchir à des moyens européens ou forces spécialement développées pour le soutien aux opérations de l'ONU (maintien de la paix, catastrophes naturelles majeures, catastrophes humanitaires) ? Ce pourrait être le développement de moyens de transport militaires communs (avion gros porteur, poste-avions franco-britannique), de moyens d'observation (satellites et système européen), de forces de police (gendarmerie européenne). Pour des organisations régionales comme l'Union africaine, cela supposerait une aide spécifique sur certains équipements adaptés de proximité (hélicoptères, etc...).
La question la plus délicate en apparence est celle du commandement et de la coordination d'une opération à dimension militaire (ex de la zone d'exclusion aérienne) : le choix de l'OTAN comme coordinateur a été présenté comme inéluctable mais d'autres solutions peuvent être trouvées. L'Union européenne a déjà monté une opération de maintien de la paix, l'intervention Artémis de juin 2003, en Iturie (RDC), dans le cadre de la PESD, de manière autonome, en mobilisant des moyens exclusivement européens, sans recourir aux capacités de l’OTAN.
Ne faut-il pas poser la question de la réactivation sous une forme nouvelle du Comité d'État-major de l'ONU, prévu dans la Charte ? En effet, l’ONU se retrouve de fait, aujourd’hui, comme la seule organisation internationale dont l’organe directeur, le Conseil de sécurité, ne s’appuie pas sur un organe de conseil militaire (comme cela se fait à l’OTAN et à l’Union européenne). La discussion sur une possible réactivation du Comité d’état-major a été à nouveau relancée le 23 janvier 2009, au Conseil de sécurité, afin d’améliorer la planification, la conduite et le suivi des opérations de maintien de la paix.
Selon Alexandra Novosseloff chercheure au Centre Thucydide, la première étape d’une réactivation du Comité d’état-major serait sa saisine par le Conseil de sécurité. Les prochaines étapes pourraient permettre d'inviter à ses réunions, de manière systématique mais informelle, les autres membres du Conseil et les principaux contributeurs de troupes concernés pour développer l'information et les coordinations. Ce débat ne doit-il pas être élargi et la société civile s'emparer ?
Reste la question la plus soulevée : quid de forces onusiennes permanentes pour le maintien de la paix. On touche à un problème à la fois financier énorme en coûts de personnel, de logistique et d'armement mais surtout à un problème politique de souveraineté, de transparence.
L'avancement du droit et des critères d'application peut permettre de lever des obstacles. Du chemin a été fait avec la publication du rapport de Lakhdar Brahimi et du « Groupe d’étude sur les opérations de paix de l’ONU » a été créé en mars 2000 par le Secrétaire général afin de faire des recommandations pour améliorer la pratique de l’ONU dans le domaine du maintien de la paix.
Il reste encore largement à appliquer même si aujourd'hui le dispositif onusien a cru considérablement puisqu'au 31 janvier 2010, 84.835 militaires onusiens étaient déployés dans le monde, 12.794 policiers, ainsi que 2314 observateurs militaires, soit un total de 99.943 personnes, contre 12.400 en 1996.
Il existe maintenant un Secrétaire-général adjoint de l'ONU au maintien de la paix, une structure logistique onusienne a été crée à ses côtés, une base logistique a été créée en Italie.
En même temps, il est difficile d'imaginer que des forces onusiennes puissent être utilisées dans des opérations rapides de protection de population. L'ONU risque d'être obligée pendant longtemps à faire appel à des contributions de pays avec toutes les questions d'encadrement juridique et militaires exposées auparavant.
Il est évident par ailleurs que tout progrès dans le maintien de la paix tant sur le plan juridique que militaire ne peut se comprendre durablement que dans deux cadres : celui du progrès de la démilitarisation des relations internationales (progrès des traités de désarmement, diminution des dépenses militaires) et celui d'une démocratisation progressive des différents niveaux d'élaboration et décision du sytèmes des Nations unies (élargissement du Conseil de sécurité, poids de l'Assemblée générale, place de la société civile, encadrement des agences économiques comme FMI, BM et OMC).
Au dela des conséquences dans leurs propres pays, les luttes des populations du continent africain n'auront pas été inutiles si elles font aussi avancer le débat sur le renforcement du droit international, la construction d'une sécurité globale, coopérative et humaine.
Jeudi 14 avril 2011




mercredi 6 avril 2011

Côte d'Ivoire, Libye : trouver des solutions politiques, débattre avec sérieux...

À Abidjan, la situation peut facilement tourner à la catastrophe si l'option diplomatique ne reprend pas vite le dessus.
Les pressions doivent s'accentuer pour que Laurent Gbagbo reconnaisse le verdict des urnes et quitte le pouvoir comme l'a sommé le 14 avril dernier l'Union africaine à Addis Abeba. Même si l'ultimatum de 15 jours donné alors par l'U.A à Laurent Gbagbo a été dépassé, Alassane Ouattara a fait une faute politique en passant à l'option militaire pour imposer sa légitimité. De plus, il devra condamner sans faiblesse les exactions de ses troupes à Duékoué, dans l'ouest du pays : les bilans oscillent de 330 tués à un millier de morts ou disparus selon l'ONU. Le procureur de la CPI a décidé de lancer une enquête : c'est bien. Jusqu'à présent, c'étaient l'armée ou les milices de Gbagbo qui avaient, pour l'essentiel, semé la terreur à Abidjan (plus de 400 tués en quatre mois selon l'ONU).
En Libye, là aussi, l'heure est à accentuer les efforts diplomatiques pour monter une période de transition qui permette un compromis entre les deux camps.
Tout comme pour la Lybie, la place de l'ONU, son rôle, son positionnement sont l'objet de déformations, dues soit à l'ignorance, soit au jeu politicien.
Les débats sont légitimes s'ils portent sur les vraies questions et non sur des affirmations erronées ou tendancieuses.
Le représentant des Nations unies devait-il certifier les élections, y était-il autorisé ? OUI, la résolution 1765 du conseil de sécurité de 2007, accepté par toutes les parties, confie au représentant de l'ONU le soin de certifier les élections à toutes les étapes, donc la proclamation des résultats. Cette décision visait à surmonter les oppositions qui se manifesteraient aux différents niveaux nationaux, donc, il était normal et prévu que la certification onusienne intervienne APRÈS les différents avis des structures ivoiriennes.
Devait-il l'annoncer dans les formes, les délais où il l'a fait ? C'est un débat possible, mais le représentant de Ban Ki-moon s'est justifié par l'examen des procès-verbaux, après une élection dont la préparation avant, pendant et après a été une des plus sophistiquées engagées par les Nations-unies de leur histoire (la plus chère aussi)...
La force de l'ONU, l'ONUCI, a été victime pendant quatre mois de provocations, voire d'attaques fréquentes de la part des partisans de Laurent Gbagbo. Après l'attaque des troupes fidèles à M. Ouattara, les premières ripostes de M. Gbagbo à Abidjan ont conduit Ban Ki_moon à faire bombarder des bases militaires de L. Gbagbo pour éviter des massacres sur les civils. En avait-il le droit ? OUI, la résolution 1975 des Nations unies est claire dans ses points 6 et 7 :
"6. [le conseil de Sécurité] Rappelle, tout en soulignant qu’il l’a assurée de son plein appui à cet égard, qu’il a autorisé l’ONUCI, dans le cadre de l’exécution impartiale de son mandat, à utiliser tous les moyens nécessaires pour s’acquitter de la tâche qui lui incombe de protéger les civils menacés d’actes de violence physique imminente, dans la limite de ses capacités et dans ses zones de déploiement, y compris pour empêcher l’utilisation d’armes lourdes contre la population civile, et prie le Secrétaire général de le tenir informé de manière urgente des mesures prises et des efforts faits à cet égard;
7. Demande à toutes les parties de coopérer pleinement aux opérations de l’ONUCI et des forces françaises qui la soutiennent, notamment en garantissant leur sécurité et leur liberté de circulation avec accès immédiat et sans entrave sur tout le territoire de la Côte d’Ivoire afin de leur permettre d’accomplir pleinement leur mission
;"

On peut critiquer le texte de la résolution mais par contre, placée sous la cadre du chapitre VII de la Charte, elle autorise sans ambiguité le Secrétaire Général à décider de frappes pour éviter les tirs d'armes lourdes des forces de Gbagbo contre la population civile d'Abidjan... L'appréciation de M. Ban Ki-moon a-t-elle été juste ? Là encore, c'est un débat possible, mais il pouvait le faire.
De même juridiquement, il pouvait demander aux forces français stationnées en Côte d'Ivoire de l'aider dans cette tâche.
La France devait-elle accepter ? C'est encore un débat légitime. Compte-tenu de son passé colonial, des affrontements de 2004, on peut estimer que M. Sarkozy aurait dû refuser, ou tout au moins, consulter les pays africains, responsables de l'Union africaine. Son acceptation rapide, venant après ses gesticulations au début de la crise libyenne, ne plaident pas en sa faveur et laissent penser que les préoccupations de politique intérieures n'ont pas été absentes. Il aurait été préférable que la force Licorne soit remplacée depuis longtemps par des forces d'un autre pays aussi aguerries, ou que les forces de l'ONUCI soient mieux équipées pour remplir leur mission de protection.
Mais peut-on écrire que "Rarement les Nations-Unies, dont la Charte bannit explicitement le recours à la force, auront été à ce point instrumentalisées" (déclaration PCF du 5 avril) ? NON, la Charte des Nations unies exclut le recours à la force entre les pays pour régler leurs différends, mais elle permet au Conseil de sécurité d'"entreprendre, au moyen de forces aériennes, navales ou terrestres, toute action qu'il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales." dans le cadre du chapitre VII de la même Charte.
Le problème juridique était le même pour l'adoption de la résolution 1973 sur la Libye relative à la protection de la population civile menacée.
Là encore, on peut très normalement critiquer l'extension abusive de cette notion de "rétablissement de la paix et de la sécurité internationale" à des situations de conflits essentiellement locaux, mais menons ce débat pour faire avancer le droit international, la défense de la paix et des droits humains de manière rigoureuse...

Il faut être logique, on ne peut pas demander l'intervention de l'ONU ou de l'UE pour protéger le peuple palestinien lors de l'attaque de Gaza, et lorsque ce principe avance dans le droit international, dire « ah, non c'est pas bon, etc... » ;
En Côte d'Ivoire, idem, on ne peut dire : l'ONU contrôle le processus électoral (résolution 1975 de juillet 2007), arriver aux élections, et puis après que l'ONU ait préparé et contrôlé ces élections, les ait certifiées, dire, « ah non, faut voir ».
Il ne faut pas se tromper et « se tirer une balle dans le pied » : souhaiter le droit international et un nouvel ordre international plus juste et tirer dans le dos de la structure chargé de le mettre en application. (En France, on critique parfois une décision de justice mais on ne remet pas en cause fondamentalement l'institution judiciaire, ni la police en permanence).

Il y a encore des équivoques à lever, notamment dans la gauche radicale : quel est le but suivi au plan mondial ? Est-ce la lutte contre un impérialisme (américain) pour lui opposer non plus un "socialisme mondial" qui n'existe plus, mais un « autre monde » notion aussi floue pour l'instant et tout aussi globalisante que la précédente, ou est-ce la construction d'une société mondiale de droit et de justice, permettant des avancées démocratiques et sociales pour les peuples, leur permettant de développer de nouveaux rapports de force, donc avec des institutions pour créer et dire le droit et pour le faire respecter.

Celles-ci existent : pour construire et dire le droit, c'est la Charte de l'ONU et le Conseil de sécurité, les Traités et Conventions diverses. Pour faire respecter le droit, en dehors de la Cour pénale internationale encore balbutiante, il n'y a qu'un seul "marteau-pilon" souvent inadapté, le Conseil de sécurité par le biais du chapitre VII, permettant l'usage de la force au cas par cas (ainsi bien sûr que toute autre mesure de blocus, de sanctions, d'interdiction). Il n'y a pas encore de forces de "police internationale onusienne" permanentes : je pense que les événements de ces derniers mois devraient permettre de ré-ouvrir le débat sur cette question.

Mais ce débat suppose aussi de lever des ambiguïtés : on voit encore des analyses soit ignorantes soit de mauvaise foi : soutien déguisé à Gbagbo ou à Khadafi au nom du principe, « les ennemis de mes ennemis sont mes amis ou au moins je les soutiens », les « amis de mes ennemis sont mes ennemis et je les combats» (Ouattara et sa carrière au FMI), et « s'il y a mon ennemi dans une opération, l'ensemble de l'opération est forcément mauvaise », sans tenir des contradictions qui traversent certaines positions politiques (voir Sarkozy)..

Il faut se fixer des repères dans la vision du monde à construire et s'y tenir. C'est ainsi que nous construirons de vraies perspectives en portant des jugements en fonction des faits, en bâtissant des mobilisations et des rapports de force sur des principes et non en fonction de la position des acteurs dans des constructions idéologiques. Ne pas fournir des points de repère sérieux quant à la marche du monde : autour de la promotion du multilatéralisme, du droit international et d'une culture de paix s'appuyant sur un système des Nations unies à soutenir et réformer d'une même démarche, serait renoncer à une transformation concrète de l'humanité.
Mercredi 6 avril 2011