jeudi 6 janvier 2011

Côte d'Ivoire : questions en débat...

La situation inquiétante de la Côte d'Ivoire suscite une multitude de questions que mon article précédent ne pouvait pas développer dans sa longueur initiale. Voici, sous formes de questions/réponses quelques informations ou réflexions supplémentaires pour participer au débat avec tous ceux qui pensent qu'une solution militaire ne serait pas une bonne chose pour le peuple ivoirien.

1/ Fallait-il faire les élections maintenant ?
L’élection présidentielle ivoirienne a été reportée six fois en dix ans par Laurent Gbagbo depuis les dernières élections en 2000. Les élections du 31 octobre seront les premières depuis le conflit qui a éclaté en Côte d’Ivoire en 2002, divisant le pays en deux parties : le nord aux mains des rebelles et le sud sous contrôle gouvernemental. L'élection présidentielle devait se tenir en octobre 2005 conformément aux dispositions légales, soit cinq ans après l'élection présidentielle ivoirienne de 2000, cela après la mission de bons offices de Thado Mbeki. Après les accords de Ouagadougou en 2007, l'élection présidentielle en Côte d'Ivoire, était prévue le 30 novembre 2008, puis reportée  au dernier moment en 2009, puis finalement en novembre 2010. La tenue de ces élections était une exigence majoritaire de la population et aucune des parties n'a demandé un nouveau report de ces élections.

2/ Les élections ont-elles été préparées suffisamment en concertation avec toutes les parties, les modalités du contrôle étaient-elles suffisantes ?
"Cela aura été en tous les cas les élections africaines les plus longuement et méticuleusement préparées qui ont impliqué depuis les accords de Marcoussis en janvier 2003 (1) un nombre impressionnant d’acteurs (... Le processus électoral avait fait l’objet d’un consensus laborieux entre toutes les parties prenantes même si à chaque étape il y avait eu des dérapages. Des audiences foraines au recensement de la population, de la constitution du fichier électoral à la délivrance de cartes d’identité nationale, de la constitution puis reconstitution de la Commission électorale indépendante à la distribution des cartes d’électeurs (...)", reconnaît Pierre Sané, ancien sous-directeur de l'UNESCO dans un article, plutôt favorable aux thèses Gbagbo, dans "La Dépêche d'Abidjan". Effectivement, pour la première fois, certaines conditions comme l'autorisation de se présenter à tous les candidats (notamment à Ouattara) a été accordée, la révision des listes électorales acceptée. Peut-on améliorer ces conditions, peut-être, mais pas, sans doute, de manière significative.

3/ Les résultats des élections ont-ils été corrects ? la certification a-t-elle été sérieuse ?
Le représentant spécial de l'ONU en Côte d'Ivoire, Young-Jin Choi, a affirmé que ses services ont recompté trois fois les procès-verbaux des votes dans les régions contestées et que « même si toutes les réclamations déposées par la majorité présidentielle auprès du Conseil constitutionnel étaient prises en compte, […] le résultat du second tour tel que proclamé par le président de la CEI le 2 décembre ne changerait pas ».
Pour renforcer la sécurisation des élections, la force de l'ONU (ONUCI)a déployé 9.150 soldats, a assuré la logistique : transport du matériel de vote, puis des bulletins avant et après le vote. Pendant les mois précédents, la mission de l'ONU a fait un travail considérable d'éducation à la tolérance, la culture de paix et le civisme avec les groupes socio-professionnels, les associations de jeunes et de femmes. Le contrôle direct des opérations de vote a été effectué par des observateurs internationaux de l’Union Européenne, de l’Union Africaine, de la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), de l’Organisation Internationale de la Francophonie, du Japon et du Centre Carter, sans doute en nombre insuffisant, mais très présents malgré tout. Il faut noter que les contestations ont porté uniquement sur les régions du Nord, parce que ces contestations ont toutes émané du camp Gbagdo qui les a multipliées et a fait un pressing politique considérable alors que ses concurrents n'ont pratiquement pas fait de requêtes (par naïveté politique ?). On ne peut donc exclure une dimension de manipulation politique sur cette accusation de fraudes éventuelles.
La seule question pendante évidemment est celle-ci : fallait-il procéder à un recomptage général des bulletins à la suite des contestations ? À noter que ni la Commission électorale indépendante, ni le Conseil constitutionnel ne l'ont proposé... et que la déclaration du représentant de l'ONU a été claire sur les écarts de voix... Cela semble matériellement et politiquement impossible aujourd'hui, mais cela permet à toutes les rumeurs et informations fausses de circuler.

4/ Ne s'agit-il pas d'une démocratie "imposée de l'extérieur" ? y-a-t-il une voie particulière à la démocratie en Côte d'Ivoire ?
L'idée que, peut-être, la "communauté  internationale" voudrait imposer "de l'extérieur" un type de démocratie "occidentale" apparaît parfois. Soyons clairs, les peuples africains ne sont pas des "grands enfants", ils pratiquent, maîtrisent et connaissent fort bien les processus électoraux : ils demandent parfois aide et solidarité pour pouvoir voter librement sans la pression de dictateurs ou chefs de bande régionaux dans des situations post-conflits, c'est différent. Attention également, me semble-t-il à ne pas retomber dans des distinctions catastrophiques comme celles que nous avons connues avec les fausses oppositions entre "démocratie bourgeoise" et "démocratie prolétarienne" ou "démocratie formelle" et "démocratie réelle" ...

5/ Faut-il choisir entre Gbagbo et Ouattara ?
La question ne se pose pas ainsi. Il me semble que la question centrale est d'assurer le respect de l'expression populaire des ivoiriens et ivoiriennes. Chacune des personnalités ivoiriennes a un passé politique plus ou moins chargé. Ouattara est de pensée néo-libérale, proche du FMI, sans doute de N. Sarkozy. Guillaume Soro a été le leader de la rebellion armée. Gbagbo est toujours membre de l'Internationale socialiste, a conservé des réseaux en France dans cette mouvance (voir la visite étrange de Roland Dumas et de Jacques Vergès) et a travaillé jusqu'en 2004 avec les réseaux chiraquiens. Laurent Gbagbo a également flirté sur le thème de "l'ivoirité" lancé par K. Bédié et est responsable d'une partie des massacres qui ont eu lieu depuis 2002, ainsi que de l'assassinat ou tentative d'assassinat de plusieurs de ses adversaires politiques.
Or, me semble-t-il, dans l'état actuel du rapport des forces sur place, le seul "non-choix" débouche de fait sur le choix de Gbagbo, car c'est lui qui "joue la montre"... C'est pourquoi le choix du respect de la volonté populaire ivoirienne me semble être la bonne boussole, quels que soient les hommes qui prétendront l'incarner.

6/ Qui tire les ficelles de la situation ? La France, les États-Unis, l'impérialisme ?
Certains commentaires avancent également la thèse d'une "communauté internationale entrainée par la France officielle, et les USA". Cela mérite discussion, en dehors du léger mépris qui semble pointer envers tout ce qui peut être désigné dans ce contexte par cette expression "communauté internationale" : de l'ONU aux organisations africaines, voire à un certain nombre d'ONG...
Il est clair que la diplomatie états-unienne est très active, cherche à prendre pied en Afrique mais ne peut le faire qu'en essayant de se masquer derrière l'ONU, les institutions internationales (posture nouvelle par rapport à l'ère Bush). La France procède aussi de la même manière, mais par obligation, car elle est discréditée depuis l'échec des accords de Marcoussis en 2002. De fait, c'est donc l'ONU et les organisations africaines (UA et CEDEAO) qui ont animé les efforts pour surmonter la guerre civile ivoirienne des années 2000.  
Cela ne va pas sans contradiction, mais, en même temps, cela peut être porteur d'une voie pour les pays africains pour finir de s'affranchir des séquelles des colonialismes français, britannique, espagnol et régler leurs affaires eux-mêmes... Comment soutenir cette évolution pour qu'elle ne soit pas récupérée, voire instrumentalisée par les grandes puissances ? Tel me semble être le challenge au lieu de "jeter l'eau du bain" avec le bébé onusien..

7/ Quelle issue à la crise ?
Les réflexions précédentes sont parties intégrantes de toute solution politique à la crise. Il faut éviter une solution de force militaire, qu'elle vienne du camp Gbagbo ou des partisans de la reconnaissance de Ouattara. Une pression devrait s'exprimer clairement en direction des organisations africaines, de l'ONU pour dire clairement : utilisez tous les moyens d'un règlement politique, de la discussion aux compromis, des pressions aux sanctions si nécessaires. Les intéressés, s'ils sentent cette pression, sont capables de trouver des solution originales de compromis et de concorde nationale eux-mêmes. Une autre pression doit être faite en direction du gouvernement français pour lui demander de retirer ses troupes, de modifier la nature militaire de l'opération Licorne pour lever toutes les accusations légitimes de post-colonialisme.  Et comme dans d'autres régions du monde, la question est posée de travailler avec des interlocuteurs, des forces dans la société civile là-bas, capables de promouvoir des valeurs de démocratie, de tolérance, de culture de paix, et de les soutenir concrètement de manière beaucoup plus forte.
Jeudi 6 janvier 2010




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire