lundi 13 décembre 2010

Sécurité humaine : une longue quête (1)

Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a nommé un diplomate japonais, M. Yukio Takasu au poste de conseiller spécial pour la "sécurité humaine". Animateur d'un réseau informel, les Amis de la sécurité humaine « Friends of Human Security » (FHS) depuis 2005, il sera chargé de mener des consultations avec les États Membres, les organisations du système de l'ONU afin de faciliter une "compréhension commune du concept de sécurité humaine". En débat depuis près de vingt ans, ce concept de "sécurité humaine" a connu cette année deux impulsions : l'Assemblée Générale des Nations Unies a tenu les 21 et 22 mai 2010 un débat en séance plénière sur cette question. Le 28 juillet, elle a adopté un projet de résolution sur la sécurité humaine présenté par le Japon et par laquelle elle prend note du premier débat formel sur cette notion et elle "reconnaît la nécessité de poursuivre le débat et de parvenir à un accord sur cette définition à l’Assemblée générale" et prie le Secrétaire général de solliciter les vues des États Membres et de lui faire rapport dans un an.
On constate donc tout à la fois un débat qui continue et s'approfondit très lentement mais qui soulève des questions difficiles entre les États. Pourquoi ?
Adoptée comme principe de politique étrangère par certains pays (Canada, Norvège, Japon), la sécurité humaine demeure en effet un concept encore flou et objet de débats bien que ce thème ne soit pas nouveau.
La première définition de la sécurité humaine est fournie par le rapport du PNUD sur le développement humain de 1994. Partant du constat que « pour la plupart des gens, un sentiment d’insécurité surgit davantage des craintes engendrées par la vie quotidienne que par un événement apocalyptique mondial », le rapport invite à prendre pour objectif de la sécurité l’individu et non plus l’Etat et penser la sécurité aussi bien à l’intérieur des frontières qu’à l’extérieur. L’approche du PNUD revient à établir une liste de sept domaines classés comme autant d’enjeux sécuritaires : sécurités économique, alimentaire, sanitaire, environnementale, personnelle, collective et politique. Déjà en 1992, à l’initiative du Secrétaire général des Nations unies de l’époque, Boutros Boutros-Ghali, l’adoption d’un Agenda pour la paix avait aussi marqué un tournant. Il affirmait que « pauvreté, maladie, famine, oppression et désespoir (…) sont à la fois la source et la conséquence des conflits » et constituent « l’absolue priorité » des efforts de l’ONU. Son successeur, Kofi Annan, réaffirma cette démarche en 1998 dans deux de ses rapports.
En 1997, le ministre des Affaires étrangères canadien, Lloyd Axworthy, fait la promotion d’une « stratégie politique internationale qui devrait inclure la sécurité humaine », où la sécurité de l’individu devenait le « nouvel étalon de mesure de la sécurité mondiale ». Selon cette approche les organisations internationales, créées par les Etats afin d’établir un ordre mondial juste et pacifique, et au premier chef l’ONU dans son rôle de gardien de la paix et de la sécurité internationales que lui confère sa Charte, doivent répondre aux besoins des personnes en matière de sécurité.
L’idée de sécurité humaine est apparue ainsi dans les années 90 dans un contexte nouveau. En effet, à la fin de la Guerre froide, la sécurité des Etats s’était améliorée tandis que celle des populations n’avait cessé de se dégrader. Alors qu’il s’agissait auparavant de préserver l’intégrité territoriale et la souveraineté politique contre les agressions externes, les civils se trouvaient désormais projetés au centre des conflits contemporains. De plus en plus de conflits armés prenaient en effet la forme de guerres civiles, dans lesquelles huit victimes sur dix étaient des non combattants. Ce phénomène était dû en grande partie à la perte de capacité et d’autorité des États, incapables d’assurer la sécurité élémentaire des individus. La réflexion se développa aussi suite au double échec de la communauté internationale, au Rwanda en 1994 et dans le nord Kosovo en 1999 - cette dernière crise ayant vu l’intervention unilatérale et illégale de l’OTAN. Cette situation venait du fait que l’ONU de son côté s’avérait incapable de trouver un consensus sur le « droit d’intervention humanitaire », une des questions les plus controversées de la décennie 1990. « Si l’intervention humanitaire constitue une atteinte inadmissible à la souveraineté, comment devons-nous réagir face à des situations comme celles dont nous avons été témoins au Rwanda ou à Srebrenica, devant des violations flagrantes, massives et systématiques des droits de l’homme, qui vont à l’encontre de tous les principes sur lesquels est fondée notre condition d’êtres humains ? », interrogeait alors Kofi Annan.

Dans cette réflexion, la notion de sécurité humaine fournit un cadre conceptuel dans lequel il est possible de réexaminer la souveraineté des États. La sécurité humaine oblige l’Etat à envisager une souveraineté tournée "vers l’intérieur", c’est à dire "vers les individus" qui lui confèrent sa légitimité. Elaborée par la commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des Etats, la notion de "responsabilité de protéger" et non plus "l'ingérence humanitaire" s’impose comme le corollaire de la sécurité humaine. Ces deux concepts ont été incorporés au document final du Sommet mondial de l’ONU de septembre 2005.

Dans le Document final adopté le 7 septembre 2005, les Etats membres réaffirment les objectifs du Millénaire, condamnent le terrorisme, décident d'instituer une Commission de consolidation de la paix, reconnaissent la responsabilité internationale de protéger les populations contre les génocides, souhaitent réformer le Conseil de sécurité et conviennent de créer un Conseil des droits de l'homme. Les Etats membres reconnaissent avoir la « responsabilité de protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l'humanité » lorsque les États ne sont pas disposés ou en mesure de le faire, au besoin en ayant recours à la force.
Le fonctionnement de nouveaux organes internationaux, tels la Cour pénale internationale, la Commission de la consolidation de la paix, le Conseil des droits de l’homme va induire progressivement ces cinq dernières années des réflexions plus concrètes qui font que maintenant, la question est de préciser, exactement, le sens du concept de sécurité humaine, car il devient, de fait, opérationnel dans de nombreux domaines internationaux.
Des réticences existent encore, notamment de la part de pays du Sud qui considèrent la sécurité humaine comme un nouveau critère visant à justifier l’imposition de modèles occidentaux, alors que le concept n'est pas vraiment appliqué à l’intérieur même des pays occidentaux. Cette critique en rejoint d'autres pour qui, le flou qui entoure encore la notion de sécurité humaine, sert les intérêts de ses promoteurs en soudant des acteurs très différents autour d’objectifs qui le sont tout autant. La sécurité humaine apparaît alors essentiellement comme un outil politique, qui peut être manipulé par certaines puissances.
D'un autre côté, la sécurité humaine n'est-elle pas un des moyens de remettre directement les préoccupations des peuples, le souci de la sécurité de tous et de chacun au centre des préocuupations de la communauté internationale, sans se cacher derrière la souveraineté de soit-disants représentants non élus, corompus, dictatoriaux ?
Cela suppose évidemment une ONU renforcée, démocratique, à la légitimité non contestée.
Le Parlement européen, dans un voeu voté fin septembre 2005, avait bien noté que le soutien à la sécurité humaine passait par un "engagement en faveur d'une ONU forte, rappelant qu'un multilatéralisme authentique constitue l'outil le plus approprié pour relever les défis, résoudre les problèmes et éloigner les menaces auxquels la communauté internationale est confrontée". Sécurité humaine et multilatéralisme sont liés, au risque sinon de permettre des instrumentalisations douteuses.
Le contexte de 2010 n'est pas celui de 2005, ni a fortiori de 1994 : il est sans doute plus favorable à la paix, à la place de l'ONU. Un récent rapport du Projet sur la sécurité humaine de l'université canadienne Simon Fraser étudie l'évolution des conflits, de leur intensité, de leurs causes dans ces dernières décennies. Les évolutions sont notables : nous y reviendrons dans un prochain article.
lundi 13 décembre 2010


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