dimanche 8 novembre 2015

Sécurité et protection par la dissuasion ou la prévention ? (II) : abandonner les vieux mythes.

Dans le précédent article, j'évoquais les timides ouvertures du débat sur la "dissuasion nucléaire" en France en 2015 au travers de plusieurs colloques. Le dernier en date, fin octobre, organisé par "Démocratie" et "Participation et progrès" semblait plus ouvert en posant la question ainsi : "Quelle dissuasion en l'absence d'arme nucléaire ?".
Las, il n'a pas vraiment tenu toutes ses promesses car il a révélé une fois de plus la fascination des cercles militaires ou des chercheurs spécialisés pour le mythe de la" dissuasion nucléaire". La majorité des intervenants se sont crus obligés de commencer leurs interventions et de les terminer par une déclaration solennelle d'attachement au dogme nucléaire. On peut regretter qu'à chaque fois, pas ou peu de démonstrations concrètes, de chiffres, d'exemples soient apportés à l'appui de cette thèse de principe.
Le soutien à la "dissuasion nucléaire" semble relever essentiellement du credo politique obligé : comme l'a fait remarquer Paul Quilès, un des rares intervenants à ne pas suivre cette tendance majoritaire, "nous sommes dans le quasi-religieux". De ce fait, peu d'intervenants ont vraiment traité objectivement le thème, "une dissuasion alternative sans l'arme nucléaire existe-t-elle ?" : ils ont traité surtout du "pourquoi, il ne faut pas toucher à l'arme nucléaire", et quand ils ont évoqué une situation non-nucléaire, c'était généralement pour évoquer "l'horreur" absolue : un désarmement unilatéral français que personne ou presque, aujourd'hui en France, ne revendique.
La réflexion autour de l'arme nucléaire dans les milieux dirigeants semble bloquée, verrouillée autour de quelques vieux mythes, notamment ceux de "l'assurance-vie" et celui du "tenir son rang".
Il convient de rappeler que le mythe de "l'assurance-vie", est une escroquerie intellectuelle. Une assurance-vie ne protège pas de la mort les assurés, elle sert à indemniser, à protéger les survivants. C'est bien différent ! Mais, en l'occurrence, en cas de conflit nucléaire, quels survivants resteront pour toucher la prime, qui sera là pour leur verser, et avec quelles ressources économiques dans un pays détruit ?
Les études récentes sur les conséquences humanitaires d'une explosion nucléaire montrent quelle serait l'ampleur des destructions et pointe le fait qu'aucun pays, aucune institution n'est préparé à faire face à une telle catastrophe.
L'idée que la possession de l'arme nucléaire est nécessaire à un pays comme la France pour justifier sa place au Conseil de sécurité des Nations unies, pour "compter" dans les discussions internationales, bref, pour « garder son rang » est une idée à la fois fausse et perverse.
Idée perverse, car s'il était nécessaire de posséder l'arme nucléaire pour faire partie des grandes puissances, des pays comme le Japon, l'Allemagne, le Brésil, l'Égypte, l'Inde ne seraient-ils pas fondés à essayer d'obtenir cette arme si jamais, demain, ils entraient au Conseil de sécurité des Nations unies, comme certaines propositions diplomatiques, soutenues d'ailleurs par la diplomatie française, l'envisagent ?
Idée fausse sur un double plan. Le fait que la France détienne l'arme nucléaire n'a pas empêché qu'elle soit écartée diplomatiquement par les USA et la Russie lors de l'accord sur le nucléaire iranien ou lors de la décision de tenir une conférence élargie sur la Syrie. Deuxièmement, le statut de puissance dans le monde a un contenu plus complexe aujourd'hui, dans lequel le "softpower" est déterminant : l'Allemagne dénucléarisée, mais forte économiquement, joue un rôle international majeur. Le Canada, dans la décennie précédente, joua un rôle politique incontournable sur le plan du désarmement, notamment au moment de la Convention d'interdiction des mines antipersonnel. Si l'Union européenne ne joue pas un rôle politique mondial plus important, ce ne tient pas essentiellement au fait qu'elle n'est pas une puissance militaire et nucléaire, mais au fait qu'elle ne possède pas de buts politiques en matière de politique étrangère commune (ni de volonté et de détermination) suffisamment clairs, autonomes et innovants au service de la communauté internationale.
Il faut revisiter le concept nostalgique de "France, puissance mondiale" : oui, l'image de la France est porteuse de valeurs fortes issues de son histoire, mais être une puissance au rayonnement mondial ne se décrète pas par une posture faussement indépendante et peu efficace. En dehors de l'intervention au Mali (et encore, le débat est ouvert), les interventions militaires françaises en Libye et en Syrie ont eu des résultats peu convaincants. L'action "indépendante" de la France s'est surtout manifestée "en creux" dans plusieurs problèmes : une opposition systématique envers l'Iran et la Russie contre-productive, un postulat de principe anti-Bachar al Assad stérile, une action de torpillage de toute négociation nucléaire (dernier exemple à la réunion de la 1ère commission de l'AG de l'ONU - voir http://www.un.org/press/fr/2015/agdsi3541.doc.htm). Le pouvoir et le rayonnement d'un pays aujourd'hui réside plus dans sa capacité de s'intégrer et d'agir au sein du système multilatéral mondial, de proposer des initiatives rassembleuses permettant des avancées politiques, plus que dans ses seuls attributs militaires et nucléaires. À moins d'estimer que la seule évolution possible sera, non pas celle de l'extension du multilatéralisme et des coopérations internationales, mais celle d'un monde de pôles de puissances, rivalisant entre elles, au risque d'une véritable "der des der" nucléaire. C'est un pari faux et risqué.
Malgré tout, dans ce colloque, des voix dissonantes se sont élevées pour contester le dogme de la "dissuasion nucléaire" notamment celles de l'ancien ministre de la défense, Paul Quilès ou celle du général Norlain. Une analyse intéressante a été donnée également par Pierre Cornesa sur la "fabrication de l'image de l'ennemi" c'est-à-dire l'action politique de certaines grandes puissances (y compris la France) qui créent elle-mêmes, par leur action, l'insécurité (voir Libye), donc génèrent l'incertitude puis, ensuite, justifient la nécessité de la "dissuasion".
Parmi les autres interventions constructives, on peut citer le rappel de la situation en ex-Yougoslavie avec les accords de Dayton et ceux du Kossovo. Une issue positive a pu être trouvée aux affrontements, certes par l'interposition d'une robuste force militaire fournie par l'OTAN, mais sous le mandat du Conseil de sécurité des Nations unies, mais aussi par la construction d'une perspective politique et des mesures globales (aide économique, Tribunal pénal spécial, aide à la démocratie, etc..) prises par la communauté internationale et ses institutions (ONU, UE, OSCE).
Peut-on mettre ces opérations au seul crédit d'une "dissuasion conventionnelle" fournie par la présence des troupes internationales, comme l'a un peu réduit à cela le général Perruche, auteur de cette intéressante contribution, ou est-on dans un autre concept que celui de la "dissuasion, celui de la "prévention active et globale", qui relève lui du politique et non plus de la force seule ? L'ensemble de mesures prises alors avaient certes pour but de "dissuader" d'une reprise des combats mais surtout elles étaient accompagnées de mesures qui ne figeaient pas la situation, comme le fait la simple posture de dissuasion classique, mais la faisaient évoluer.
La discussion du colloque n'a pas permis de creuser plus cette réflexion. j'y reviendrai dans le prochain article.

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