lundi 14 janvier 2013

Mali : la force en dernier recours, la politique en priorité.

L'armée française est intervenue au Mali pour bombarder les forces islamistes et stopper leur offensive vers la capitale Bamako. François Hollande a justifié sa décision, affirmant qu'elle "n'a pas d'autre but que la lutte contre le terrorisme" et précisant qu'elle "consiste à préparer le déploiement d'une force d'intervention africaine pour permettre au Mali de recouvrer son intégrité territoriale, conformément aux résolution du Conseil de sécurité".
La décision française n'a pas vraiment surpris. La communauté internationale ou tout au moins le Conseil de sécurité des Nations unies  a voté dans les derniers mois trois résolutions 2056, 2071 et 2085, qui portent tous sur la situation sécuritaire au Mali et qui ont été adoptées selon le chapitre VII de la charte des Nations Unies et le besoin « urgent » de réagir contre la menace terroriste au Mali.
Le chapitre VII de la Charte de l'ONU permet au Conseil de sécurité d'utiliser la force face à une menace à la paix ou une agression. L'une des dispositions clés des résolutions du Conseil a été la création d'une force militaire internationale chargée de soutenir les efforts pour rétablir l'intégrité territoriale du Mali.
La résolution 2085, adoptée en décembre, autorise le déploiement de la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA), pour une période initiale d'un an. Mais les difficultés de mise en place, compte tenu de la déliquescence de l'État malien et du manque de moyens des forces militaires des pays africains, ne permettaient pas d'envisager la mise en place de cette force avant le printemps 2013 (certains parlaient même de septembre). C'est cette "fenêtre" qu'ont voulu utiliser les forces intégristes du nord-Mali pour développer leur influence et créer une occupation irréversible.
Il est clair que la décision française est justifiée comme intervention de "dernier recours", qu'elle bénéficie d'une légitimité internationale reconnue par le Conseil de sécurité ce samedi lançant un " appel aux États membres pour soutenir les efforts de résolution de la crise au Mali et, en particulier, d'apporter leur assistance aux forces de défense et de sécurité maliennes" mais, il faut être conscient que la marge politique du gouvernement français est étroite.
Le secrétaire général adjoint des Nations unies, Jeffrey Feltman, avaient bien anticipé la complexité de la situation le 5 décembre dernier, lorsqu'il déclarait : "Une opération militaire de dernier recours pourrait s'avérer nécessaire pour mettre fin aux éléments terroristes et criminels qui sévissent dans le nord du Mali, mais la priorité est de soutenir les autorités nationales dans le rétablissement de l'ordre constitutionnel et de parvenir à un règlement politique de la crise actuelle".
C'est bien cela l'enjeu : parallèlement au déploiement le plus vite possible de la force d'intervention africaine sous égide de l'ONU, il faut accélérer le développement d'un processus politique, seul capable d’amener la paix au Mali. Ce processus passe par la reconstruction de l’Etat malien, en travaillant sur l’union nationale, les pressions sur la junte militaire, le renforcement de la démocratie et de l’État de droit. Il y a besoin d'aider les pays intéressés, la CEDEAO, à développer un plan de démilitarisation et de stabilisation du Sahel : il faut revenir à la dynamique des fameux "bûchers du désarmement"de la cérémonie de Tombouctou en 1995 ! Avec la CEDEAO, l'Algérie est un acteur essentiel pour favoriser la négociation visant à isoler les islamistes en ralliant les groupes touaregs qui s'opposent au terrorisme à participer à une solution de compromis avec le gouvernement malien.
Au delà de la crise malienne, il faudra bien continuer le débat sur les interventions extérieures et la mise en oeuvre de la "responsabilité de protéger". L'instrumentalisation de la crise libyenne et de la résolution alors de l'ONU par MM Sarkozy et Cameron a déstabilisé la région et favorisé l'armement des djihadistes.
Elle a conduit à la paralysie politique dans la crise syrienne du fait de la méfiance renouvelée de la Chine et de la Russie, favorisant même l'arrivée d'islamistes radicaux dans les rangs de l'opposition syrienne. Il est vraiment nécessaire de développer la vigilance des citoyens pour tout à la fois développer le droit international et s'opposer aux stratégies de puissance des grands pays.
Aujourd'hui, l'intervention française est d'abord une opération de police internationale contre les agissements criminels des groupes islamiques armés au Nord-Mali qui représentent un grave danger pour les libertés publiques, la laïcité, la dignité des gens, la Paix. Mais seul le passage rapide à des initiatives politiques fortes peut éviter les risques d'enlisement ou d'engrenage dans une guerre qui ne dirait pas son nom. On ne peut qu'espérer, voire exiger, que François Hollande reste clairement sur la position exprimée le 25 septembre à l'ouverture de la session de l'ONU : «la France veut que l'ONU soit le cadre de la gouvernance mondiale».

lundi 7 janvier 2013

VŒUX 2013 : UNE NOUVELLE POLITIQUE DE DÉFENSE POUR LA FRANCE ?

Le début d'une nouvelle année est toujours propice à l'émission de voeux dans lesquels on inscrit ses souhaits, ses espoirs, même lorsqu'on sait pertinemment qu'une partie seulement d'entre eux peuvent en être réalisés. Je vous présente d'abord les miens à vous, amis lecteurs, réguliers ou occasionnels, de ce blog : vœux positifs pour votre vie personnel, vœux positifs dans la voie d'une planète plus pacifiée, plus soucieuse de tous les humains qui y vivent, plus soucieuse de sa vie même et de son environnement.
C'est un peu dans cette posture d'espoirs très lucides que j'attends la prochaine publication en janvier du "Livre Blanc sur la défense et la sécurité de la France", mis en chantier à l'initiative du nouveau Président de la République, François Hollande.
Ce rapport est destiné à préparer le vote d'une nouvelle « Loi de programmation militaire » qui encadrera les futurs budgets annuels de la Défense jusqu'à la fin de la décennie.
Si la rédaction de ce Livre blanc n'a malheureusement pas été très "ouverte", on peut espérer que le débat autour de la Loi de programmation permettra d'aborder largement ce que devrait être une politique de défense et de sécurité de la France plus innovante, plus inscrite fermement dans la construction d'un monde de paix, de justice et de droit international. La politique de défense doit accompagner une politique extérieure aux objectifs clairs, même si ses rythmes ne sont pas les mêmes, puisque la défense d'un pays reste soumise à une prudence plus grande, pour faire face à des aléas toujours possible.
Nous sommes dans un monde qui bouge : sa caractéristique essentielle n'en est pas la crise financière actuelle, ni les secousses terroristes liées à des intégrismes religieux ou des enjeux mafieux. La caractéristique du monde actuel est son multilatéralisme croissant : plus de relations (économique, politique, sociale, culturelle) entre les pays et entre les peuples, plus d'émergences de nouvelles puissances (y compris en Afrique), plus de place au droit international avec de nouveaux traités sur de nouveaux concepts (devoir de protéger les populations, devoir de protéger la planète et son environnement), plus de place aux sociétés civiles (notamment à travers leurs ONG).
Une politique extérieure française devrait s'inscrire plus franchement dans ce mouvement, en soutenant hardiment le développement du droit international, le renforcement du multilatéralisme et pour favoriser ces évolutions, le développement de la démilitarisation des relations internationales. C'est dans cette cohérence que la France doit, non seulement soutenir, mais agir plus audacieusement pour la réforme des Nations unies par l'élargissement et la démocratisation du Conseil de sécurité, le renforcement des pouvoirs de l'Assemblée générale, le renforcement de ses pouvoirs en matière économique et monétaire (réforme FMI, BM et OMC). C'est dans cette même visée que la France doit renforcer ses relations avec les pays émergents : BRICS et Mahgreb. Enfin, la France doit jouer un rôle moteur pour la mise en oeuvre de nouveaux Traités ou accords internationaux (Doha, Convention d'interdiction des armes nucléaires et Traité d'interdiction du commerce des armes).
Comment la politique de défense française peut-elle s'inscrire dans cette vision du mouvement du monde vers plus plus de multilatéralisme et de justice ? La question des « menaces », pouvant peser sur la sécurité de la France, doit être gérée de manière plus dynamique, notamment par le renforcement des coopérations policières et judiciaires internationales. L'évolution de l'appareil militaire ne peut pas se résumer à un discours immuable sur la dissuasion, avec seulement des mesures d'économies "bricolées à la petite semaine". L'évolution vers l'interdiction des armes nucléaires doit se préparer par la réduction rapide de l'éventail nucléaire en supprimant la "2e composante" (missiles aéroportés sur les Rafale), en diminuant le nombre des sous-marins nucléaires dans un délai rapide, ainsi que la réduction du nombre de missiles et de têtes nucléaires embarquées. Ces mesures unilatérales doivent accompagner les initiatives politiques nécessaires pour renforcer le TNP et préparer un Traité d'interdiction des armes nucléaires.
Il faut aborder la discussion de front sur l'évolution de la notion de territoire national, la place de l'Europe et la place du droit international et des Nations unies dans l'usage de la force aujourd'hui. Le président Hollande a "recadré" avec justesse en août le débat sur une intervention militaire pour protéger la population civile syrienne en rappelant que l'usage de la force ne pouvait venir que d'une décision du Conseil de sécurité de l'ONU. C'est une évolution inéluctable quelles qu'en soient les perversions (à l'exemple de l'interprétation condamnable par les occidentaux de la résolution onusienne sur la Libye). Si on s'inscrit dans cette perspective de droit : que fait-on pour que la France, l'Union européenne puissent soutenir correctement les décisions prises ensemble à l'ONU ? Cela ne doit-il pas replacer les coopérations pour les fabrications de certains types de matériels (porte-avions, avions de transports de troupes, drones et satellites d'observation) dans un autre contexte ? N'est-ce pas la meilleure manière d'aborder la nécessaire réduction des dépenses militaires, de manière politique et pas seulement budgétaire ?

NB : vous pouvez retrouver le texte de cette contribution dans le numéro de janvier du mensuel "Planète paix" qui publie une table-ronde sur la politique de défense française (Planète Paix - 9 rue Dulcie September 93400 Saint-Ouen - http://www.mvtpaix.org)