mardi 23 octobre 2012

Retour sur un prix Nobel de la paix controversé...

L'attribution du prix Nobel de la paix 2012 à l'Union Européenne a été une surprise. Elle a entraîné des réactions en France souvent épidermiques ou politiciennes. Des organisations avaient déjà reçu ce prix (Campagne contre les mines antipersonnels, Médecins pour la prévention de la guerre nucléaire, A.I.E.A, ONU, par ex.) mais c'est la première institution politique internationale à être récompensée. Comme toute institution, l'U.E. est porteuse d'enjeux contradictoires et les réactions les ont reflétées. Les réactions d'humeur de citoyens/citoyennes sensibles à tel ou tel aspect de la politique européenne sont compréhensibles ; celles de dirigeants politiques, préférant les petites phrases politiciennes aux analyses de fond, le sont moins. Ce manque de recul a été préjudiciable à la compréhension de cette décision du jury Nobel et et a abouti à des rapprochements malheureux comme entre "l'humour noir" selon M. Mélenchon et le "je suis tombée de ma chaise" selon Mme Le Pen. Nous sommes loin du devoir d'éduquer les citoyens et de leur donner à comprendre, souci qui devrait être celui de tout dirigeant politique...
Pour apprécier la décision des Nobel, il faut en examiner l'exposé des motifs. Le Comité Nobel rappelle que si l'Union européenne connaît aujourd'hui des difficultés économiques graves et un déficit social important, le résultat le plus important reste la "lutte victorieuse à la paix et à la réconciliation, et à la démocratie et aux droits de l'homme", une lutte "qui a contribué à transformer l'Europe d'un continent de guerre en un continent de paix".
Le rapprochement franco-allemand a été au coeur de la pacification du continent dont les moteurs ont été multiples : volonté politique des dirigeants, coopérations économiques (CECA, Traité de Rome), volonté des peuples (jumelages, action d'ONG). Il serait à l'évidence stupide de sous-estimer le rôle du cadre institutionnel, des rapports politiques, économiques, diplomatiques qu'il a entraînés. L'Union européenne a généré une prospérité économique globale dans le contexte de la croissance des "30 glorieuses" ; cette prospérité, jointe au développement de la démocratie parlementaire, a produit une force d'attraction politique forte que chacun a pu constater lors de l'implosion du bloc soviétique. Les conflits qui ont éclaté dans les années 90 ont eu lieu aux marges de l'Union (ex-Yougoslavie et Caucase) mais, après les difficiles accords de paix réalisés, l'aspiration à intégrer l'Union a constitué un moteur du rétablissement de la paix dans ces régions. Le même phénomène d'attractivité se produit aujourd'hui avec la Turquie, ce qui influe sur les réformes démocratiques dans ce pays. L'aide à la consolidation de la démocratie et de l'état de droit dans tous les pays membres n'est pas une des moindres avancées de l'Union (voir Espagne, Portugal et Grèce).
Plus largement, tous les habitués des contacts internationaux savent combien la construction politique européenne par la voie pacifique est un objet de réflexion, souvent d'admiration et d'envie (non sans naïvetés d'ailleurs) de la part des militants associatifs sur le continent sud-américain, africain ou asiatique.
Alors, faut-il admirer béatement l'oeuvre accomplie par l'Union Européenne et se congratuler sans réserves du prix Nobel obtenu ?
Non, bien sûr, soyons lucides et voyons les contradictions qui traversent l'institution.
La principale contradiction qui traverse l'Union est celle entre les intérêts individuels de chacun des États, notamment les plus importants, et les positions communes qui doivent être adoptées. Certains commentateurs ont souligné que deux États européens sont des puissances nucléaires qui traînent les pieds en matière de désarmement, certains États sont des vendeurs d'armes de premier plan et contribuent ainsi à l'insécurité du monde, des membres de l'U.E ont joué un rôle parfois négatif dans les conflits des dernières décennies (Allemagne en Croatie, France en Afrique, etc...).
Pour autant, sous la pression de plusieurs états européens ayant des intérêts différents, de celle des députés européens, de l'opinion publique, des décisions souvent positives ont été prises au niveau de l'Union sur le contrôle du commerce des armes légères (l'U.E a un eu rôle positif), sur le maintien de la paix (l'U.E est le principal contributeur de l'ONU en ce domaine, en particulier pour les Balkans et le Caucase), sur l'aide financière et économique à l'autorité palestinienne (sans l'U. E. aujourd'hui, la structure du gouvernement d'Abbas, après celui d'Arafat, se serait effondrée). L'Union Européenne est bien un acteur majeur du maintien de la paix aujourd'hui même si des domaines "lourds" comme le désarmement nucléaire lui sont en partie encore "interdits" par la France et le Royaume-Uni. Malgré cela, il existe bien des espaces politiques d'intervention populaire au niveau européen. Le fait qu'aujourd'hui, avec 27 pays membres, l'Union européenne est le plus gros contributeur financier des Nations unies devant les USA (37 %), n'est pas encore complètement exploité par les ONG pour obtenir que l'Union joue un rôle encore plus positif et efficace au sein de l'ONU.
L'histoire de ces soixante dernières dernières années montre également les relations complexes et contradictoires entre les politiques économiques suivies dans l'Union et les résultats politiques obtenus. Les deux premières décennies de l'Union, le "Marché commun", se sont construites autour de politiques économiques très controversées comme la CECA (Communauté économique du Charbon et de l'Acier), avec les restructurations qui s'en sont suivies. Puis dans les années 80, ce furent la création de l'Union européenne, l'adoption du Traité de Maastricht, le marché unique, la création de l'Euro, toutes décisions dont certaines conséquences négatives ont été largement combattues à juste titre, comme l'est aujourd'hui la ratification du nouveau Traité européen de stabilité. Pour autant, les éléments de déchirures sociales et politiques contenues dans ces décisions n'ont pas abouti vraiment à un recul de l'intégration européenne, y compris sur le plan des relations sociales et humaines. Les éléments fédérateurs et intégrateurs, malgré toutes les dérives existantes (politiques d'accueil des immigrés, des Roms, par ex), sont restés les plus forts et jouent un rôle pour la pacification du continent et son rayonnement dans le monde.
Alors, ne faut-il pas avoir une analyse beaucoup plus nuancée et contradictoire sur l'attribution de ce prix Nobel, sa signification et ses potentialités ? Voyons les revendications politiques que ce prix Nobel élargit. Certains prix Nobel des dernières années privilégiaient essentiellement la défense des droits de l'homme, la nomination 2012, malgré ses ambiguïtés, a le mérite d'ouvrir un débat sur les politiques de paix et de désarmement. Ne faut-il pas s'en servir pour avoir encore plus d'exigences pour obtenir que les députés européens, les chefs d'États fassent toujours plus de l'Union européenne un vecteur majeur d'une Europe de paix, de progrès, de démocratie dans le monde ?
Nous réaliserions ainsi le rêve européen du discours de Victor Hugo au Congrès de la paix de 1849 : « Un jour viendra où les armes vous tomberont des mains à vous aussi ! Un jour viendra où la guerre paraîtra aussi absurde et sera aussi impossible entre Paris et Londres, entre Petersburg et Berlin, entre Vienne et Turin qu’elle serait impossible et paraîtrait absurde aujourd’hui entre Rouen et Amiens, entre Boston et Philadelphie. Un jour viendra où vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne…Un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées. Un jour viendra où les boulets et les bombes seront remplacés par les votes, par le suffrage universel des peuples… »

jeudi 11 octobre 2012

Nouvelle session de l'ONU : le besoin d'avancer...

L'ouverture de la nouvelle session de l'ONU (67e) en septembre a été marquée comme d'habitude par un défilé de chefs d'États ou de gouvernements, délivrant à la tribune, des messages parfois convenus, mais aussi parfois significatifs des préoccupations politiques mondiales de l'heure.
Certes, le blocage de la situation concernant la Syrie était derrière la majorité des interventions mais on peut dire que, malgré cela, ou à cause de cela, la nécessité d'une ONU plus forte et plus efficace n'a pas été vraiment remise en cause mais au contraire, plutôt souhaitée. Quelle différence avec les années 2002 lorsque George W. Bush et les "neocons", aidés par Tony Blair, menaient l'offensive contre la place même des Nations unies dans le monde ! Le souhait de réformes, généralement en insistant sur la nécessité de respecter les principes de la Charte onusienne, est revenu souvent.
C'est dans ce contexte qu'il faut situer les différentes interventions.
M. Ban a insisté sur les progrès réalisés, notamment dans le domaine de la lutte contre l'extrême pauvreté, qui a été réduite de moitié depuis 2000, les transitions démocratiques en cours au Moyen Orient, au Myanmar et dans plusieurs autres pays du monde. M. Obama s'est dit convaincu qu'en fin de compte, le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple était plus susceptible d'apporter la stabilité, la prospérité et les chances individuelles dans un monde de paix. S'agissant du dossier israélo-palestinien, M. Obama a affirmé que « l'avenir ne doit pas appartenir à ceux qui veulent tourner le dos au processus de paix », réitérant la position de son pays en faveur d'un État juif prospère coexistant en paix et en sécurité avec une Palestine indépendante. Au delà des formules, cela a signifié le refus de s'aligner sur les positions extrémistes du leader israélien, M. Netanyahu.
Selon M. Hollande, élu en mai dernier et qui s'exprimait pour la première fois devant cette instance, « il nous appartient de prendre pleinement nos responsabilités », en réformant d'abord l'Organisation, a-t-il lancé à l'adresse des 193 États Membres. Le Président français a ainsi jugé que le Conseil de sécurité devrait « mieux refléter les équilibres du monde d'aujourd'hui ». La France appuie en ce sens la demande d'élargissement de ce Conseil, formulée par l'Allemagne, le Japon, l'Inde et le Brésil, et est favorable à une présence accrue de l'Afrique, y compris parmi les membres permanents.
Cette place de l'Afrique a été défendue par de nombreux orateurs, notamment par le dirigeant de l'Afrique du sud, M. Zumma, selon qui l'Afrique devrait se voir octroyer deux sièges de membres permanents dotés des mêmes privilèges que les membres permanents actuels, y compris le droit de veto, et cinq sièges de membres non permanents.
La réforme du Conseil de sécurité a été abordée par d'autres pays, non seulement sous l'angle de la représentativité mais aussi sur celui de la réforme des méthodes de travail et la limitation du droit de veto. La Suisse a estimé que le recours au droit de veto au sein du Conseil de sécurité est « difficilement justifiable » en cas de génocides, de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité. Sa Présidente a appelé à aller plus loin dans les domaines de la médiation et de la diplomatie préventive, en notant que la majeure partie du budget de l'ONU reste consacrée aux opérations de maintien de la paix.
En même temps, les souhaits de réforme du fonctionnement des structures onusiennes s'accompagnent de réticences de certains pays de voir remis en cause leur souveraineté. « Respecter la souveraineté, les intérêts vitaux, ainsi que le choix de système social et de voie de développement de chacun est une règle fondamentale régissant les relations entre États », a insisté le Ministre chinois, tout en affirmant qu'il est « essentiel d'appliquer le multilatéralisme » et « de défendre le rôle central de l'ONU dans les affaires internationales ». De son côté, le ministre russe, M. Lavrov, a estimé que « l'ordre mondial est menacé par l'interprétation arbitraire de principes essentiels tels que le non recours à la force ou la menace de la force, le règlement pacifique des différends, le respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale des États, et la non-ingérence dans leurs affaires intérieures ».
On voit qu'il y encore besoin d'éclaircir un certain nombre de concepts comme "la responsabilité de protéger" et surtout de clarifier les conditions de leur application, comme la désastreuse intervention en Libye l'a montré. Tout concept international risque d'être instrumentalisé pour servir les intérêts particuliers de tel ou tel groupe de puissances. Est-ce pour autant qu'il faut "jeter le bébé avec l'eau du bain" comme ont tendance à le faire en France certaines forces politiques  à propos de la Syrie, du Mali ou ailleurs ? Évidemment non, mais cela suppose des interventions, des pressions populaires ou politiques beaucoup plus fortes qu'aujourd'hui, et qui ne se construisent pas uniquement sur des postures de repli ou de refus..
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mercredi 10 octobre 2012

Les leçons de l'été (3) - le désarmement, pause ou stand-by ?

Un des événements les plus attendus sur le plan du désarmement était la conférence des Nations unies qui s'est tenue du 2 au 27 juillet 2012 visant à établir un Traité sur le commerce des armes. Les diplomates se sont séparés sans avoir pu adopter ce Traité. Pour autant, un texte existe et les ONG qui, cet été, se déclaraient profondément déçues, commencent, à l'instar d'Amnesty International, de dire que ce texte "constitue une base solide sur laquelle s'appuyer pour aboutir à l'adoption d'un traité". Le 26 septembre, les ministres des Affaires étrangères de plusieurs pays de l'Union européenne dont la France ont adopté une déclaration commune intitulée "Finissons le travail" et qui insiste sur la nécessité de reprendre la négociation dans le cadre des Nations unies et d'organiser une "deuxième conférence le plus tôt possible en 2013". On peut penser que si le président Obama est réélu en novembre, les diplomates US seront plus coopératifs qu'en juillet dans les négociations. 2013 verra-t-elle cette étape historique sur la réglementation du commerce des armes ? Ce sera une des attentes de l'année prochaine.
Du côté des ONG, la mobilisation continue de grandir sur l'idée de négociations pour l'interdiction des armes nucléaires comme contraires au droit humanitaire : le Vatican a réitéré sa condamnation, le réseau ICAN (Campagne internationale pour l'abolition des armes nucléaires) a annoncé la première conférence humanitaire sur le sujet à Oslo,  les 2 et 3 mars prochains, des pays comme la Norvège et la Suisse semblent bien décidés à jouer sur le plan diplomatique une rôle actif.
La situation porte moins à l'optimisme sur le plan des institutions internationales dédiées au désarmement.
Malgré une déclaration des ministres de tous les États qui ont ratifié le Traité d'interdiction des essais nucléaires (TICEN), la situation reste bloquée, et là encore, il faudra attendre l'issue des élections américaines et des rapports de force qui s'en dégageront pour espérer voir peut-être le Sénat américain évoluer vers une ratification de ce traité.
La Conférence du désarmement à Genève s'est séparée, elle, en septembre sans avoir pu, une fois de plus, se mettre d'accord sur un programme de travail. Même si tous les diplomates se sont félicités de la bonne ambiance régnant pendant la discussion, la panne persistante de cette institution remet en cause son utilité même. La vice-secrétaire générale des Nations unies chargée du désarmement , Mme Angela Kane a rappelé lors de la séance de clôture que "surmonter cette impasse exigera donc bien davantage que des réformes institutionnelles au sein de la Conférence ou la simple recherche de nouveaux lieux de négociations" et que "les échecs à la Conférence ne sont pas les échecs de la Conférence mais ceux de la diplomatie et tout progrès repose sur les États Membres et non pas sur l'instance au sein de laquelle ils se rencontrent". Pour nous, cela pose la question de la capacité d'initiative de la diplomatie française au coeur de cette enceinte, capacité basée sur la volonté ou non de prendre de vraies initiatives politiques pour relancer le désarmement nucléaire, en dépassant le seul jeu de déclarations sur le "danger" iranien...
Peser sur les politiques des États pour faire progresser le climat général de désarmement semble une évidence, y compris si l'on espère faire progresser d'autres problèmes plus généraux. Qui peut croire que des progrès seront réalisés dans les crises avec l'Iran ou la Syrie, dans l'affectation de nouvelles ressources à la lutte contre la pauvreté et pour l'éducation, voire même pour financer l'action contre le réchauffement climatique sans un abaissement significatif des niveaux d'armements, des dépense militaires énormes qui leur sont consacrés (1740 Milliards de $ selon le SIPRI en 2011) ?