lundi 8 août 2011

Europe (4 et fin) - L'Union européenne, bras droit de l'ONU ?

Cet article clôt (pour l'été...) la série consacré à la sécurité européenne (voir les articles précédents : "Europe (1) : Les impasses militaires et politiques de la France, l'Union européenne, l'OTAN" et "Europe (2) : La place de l'Europe questionnée..." ; "Europe (3) : Une autre vision du monde – une politique de sécurité alternative".
Si l'on estime que la construction d'une véritable sécurité globale passe par le soutien et le renforcement du multilatéralisme aujourd'hui dans les relations internationales, il est clair que la priorité de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) passe en priorité par le soutien et le renfort au "rôle central" des Nations Unies et à leur action concrète.
L'Union Européenne en a-t-elle les moyens ? Le poids politique potentiel de l'Union européenne aux Nations unies ne doit pas être sous- estimé. Avec ses 25 États membres, l'Union européenne représente 13% des membres de l'ONU et 30% de l'économie mondiale, 36% du budget ordinaire de l'ONU et environ la moitié des contributions volontaires à ses Fonds et programmes. Sa contribution aux opérations militaires autorisées par l'ONU s'élève à 50 000 soldats. A l'heure de développement de la mondialisation, l'Europe est bien une clé de l'avenir de l'ONU et du multilatéralisme.

L'axe d'une politique novatrice de sécurité et de défense européenne réside dans le soutien, non seulement à la structure onusienne, mais surtout à ses valeurs - les valeurs fondamentales de la Charte de 1945 -, dont nous avons célébré en 2005 le 60e anniversaire, c’est-à-dire la paix, la mise hors la loi de la guerre comme moyen de la politique, le refus de la force pour régler les conflits au profit du règlement politique de ceux-ci et de la coopération entre les États, le désarmement et l’utilisation des ressources humaines au service de la vie et non de sa destruction. Cela inclut également les valeurs onusiennes nouvelles, construites dans l’évolution historique des soixante dernières années, au travers des divers traités et conventions : les notions de vérification, de contrôle et de transparence et confiance mutuelles, de développement des droits humains (femmes, enfants, droit au développement, à l’environnement) et de nouveaux concepts (développement humain, sécurité humaine). Cet engagement sans équivoque devrait figurer de manière plus forte dans tout futur acte ou traité de l'Union et, à plus forte raison, dans un futur «Concept de sécurité européen».
Dans ce cadre, l’UE pourrait développer un rôle pilote en termes d’éducation à la paix, à la tolérance, aux droits humains et au refus de la violence, en profitant mieux de la chance d’avoir le siège de l’UNESCO sur le sol européen. L'UE jouerait un rôle historique en promouvant de nouvelles valeurs universelles basées sur une Culture de la paix. Cet effort, pour réussir, devrait s’appuyer sur l’engagement des collectivités locales et des organisations d’éducateurs européens pour faire reculer toutes les violences, du local au mondial. Une telle politique d’éducation à la paix, à la tolérance et aux droits de l’homme, doit viser tant l’action interne, dans tous les pays membres, avec des modifications des programmes officiels d’éducation, que l’action externe au travers de la coopération décentralisée qui engage déjà des centaines de collectivités locales en France, en Italie dans les pays européens.
A côté de ce rôle essentiel sur les valeurs, l'UE a les moyens et une expérience certaine pour développer aussi des dimensions civiles de prévention des conflits, de gestion des crises et de reconstruction post-conflits. Elle a une expérience acquise sur le terrain en Bosnie et Kosovo, en Afrique pour la Belgique et la France. Surtout, l'UE a la chance de pouvoir être un partenaire privilégié de l'OSCE dont le bilan en matière de prévention civile des conflits est positif comme je l'ai écrit auparavant. Cette expérience pourrait être davantage mise au service de la communauté internationale sur d'autres continents au travers, par exemple, d'un service civil européen pour la coopération et le développement.
Enfin, sur le plan militaire, l'Europe pourrait fournir des matériels et moyens humains «d'intelligence» (satellite, avions de surveillance, drones), avions transports de troupe, porte- avions commun, expertise d'observateurs et de contrôleurs (scénario de l'Irak), médiateurs (situation du Kosovo). Ce choix clair d'une politique de participation commune à la sécurité mondiale, tournée vers le partenariat renforcé avec les Nations-Unies pour le maintien de la paix, donnerait un sens nouveau à la coopération européenne en matière d'armements. Les programmes de l'Agence Européenne d'Armements seraient inscrits dans cette finalité si celle- ci devenait une sorte de «pôle public européen» de l'armement, permettant de répondre à ceux qui s'inquiètent et refusent toute "marchandisation" des armements. Ils pourraient contribuer à créer une norme de matériels et de procédures militaires «Nations-Unies» réellement universelle, alors qu'il n'existe qu'une norme «OTAN». La définition de ces coopérations nouvelles au service de la paix permettrait de rendre effective la réduction du niveau global des dépenses militaires européennes et des forces armées, au lieu, comme aujourd'hui, de prêcher pour leur augmentation. Fondamentalement, l'Europe permettrait ainsi aux Nations-Unies de gagner une véritable "autonomie" de choix et d'action par rapport aux moyens de l'actuelle hyper-puissance américaine. Pourquoi l'UE ne jouerait-elle pas un rôle actif dans la réactivation du Comité d'État- major, prévu par la Charte de l'ONU et actuellement en sommeil ? Un comité de coordination militaire européen trouverait alors sa justification et éviterait les problèmes rencontrés aujourd'hui avec les britanniques sur cette question.
Cette évolution permettrait aussi de contourner l'épineuse question de  la relation avec l'OTAN. Elle pourrait rendre progressivement obsolète, dans les faits mêmes, le recours à cette organisation militaire, voire son existence, si l'essentiel des opérations militaires internationales de maintien de la paix se traitait exclusivement dans le cadre des Nations unies et avec la participation forte de l'Union européenne... La lutte pour le «dépassement» de l'OTAN dont on parle sans dégager d'axe concret pourrait y trouver un nouveau souffle, ceci sans créer de «vide» stratégique ou de «rupture» du lien transatlantique. Cela permettrait aussi d'inverser les termes de la question de la compatibilité «appartenance OTAN/appartenance UE».
Le rayonnement de l'Europe gagnerait donc considérablement à refuser la logique de développement de puissances antagonistes et sur-militarisées, à s'inscrire à la fois comme "pôle positif ou vertueux de puissance" et "pôle de puissance positive ou vertueuse" dans le monde.

Faire aboutir de telles orientations suppose l'apparition d'une volonté politique forte et innovante qui s'oppose à des idées qui semblent au premier abord de bon sens comme : «le monde est dangereux, il ne faut pas baisser la garde...». Ces idées ont abouti dans des impasses qui s'appellent extension de la prolifération, pourrissement de conflits locaux, diffusion des extrémismes et du terrorisme. N'est-il pas temps aujourd'hui, comme pour les problèmes de l'environnement, de prendre des voies plus originales et plus courageuses pour construire un monde «durable» aussi en terme de paix, de sécurité et de droit international. La vision d'une «Europe puissance vertueuse» pour la paix, le désarmement et le soutien aux Nations-Unies n'est sans doute pas majoritaire encore au sein des gouvernements européens mais elle pourrait le devenir dans les opinions publiques si des volontés politiques se dégageaient au sein des principales forces de la société civile et du Parlement européen. Une Europe « puissance vertueuse » ne serait pas une Europe impuissante, elle disposerait d'alliés nombreux dans le monde parmi toutes les puissances émergentes qui ont intérêt à un nouvel ordre international différent des dominations du passé. Elle s'appuierait sur une société civile en développement dans un nombre croissant de pays, et à laquelle les nouveaux moyens d'information comme les « réseaux sociaux » donnent une force nouvelle. Partenaire privilégié des Nations unies dans tous les domaines, du civilo-militaire au renforcement du droit international et d'une nouvelle culture de paix, l'Europe serait une puissance d'un type nouveau mais une puissance respectée.
Cette vision suppose une très forte intervention citoyenne, l'ouverture d'un large débat sur les stratégies et visions de l'Europe. Cette mobilisation n'est pas une réalité aujourd'hui. Qu'en sera-t-il demain ? Après avoir avoir assisté à l'épanouissement inattendu du « printemps arabe », l'heure n'est pas au pessimisme.
8 août 2011



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