lundi 21 février 2011

Guerre et paix au XXIe siècle : menaces ou défis ?

Le débat sur l'avenir de la planète s'est ravivé depuis 2010 : sur le plan économique et social avec la crise, sur le plan de la place des peuples et de la démocratie avec les révoltes qui secouent le monde arabe, sur le plan du désarmement et de la sécurité internationale avec la prolifération nucléaire toujours présente, les tentatives d'adaptation de l'OTAN.
Sur ce dernier volet, on pourrait estimer à première vue que peu de choses ont évolué lors de cette première décennie du siècle : guerre sans fin en Afghanistan, occupation israélienne qui s'éternise, envolée des dépenses militaires malgré la crise économique mondiale, bref, les vieilles politiques de militarisation et de domination semblent toujours bien se porter...

Mais, en fait, un rideau de fumée est dressé pour masquer toute évolution positive et expliquer que des « menaces » nouvelles et mystérieuses se développent (terrorisme, cybercriminalité, menaces sur nos approvisionnements énergétiques), auxquelles, il faudrait continuer d'opposer les mêmes vieilles ripostes : OTAN "partout et pour tout", publications de lois renforçant le contrôle des citoyens (Patriot Act, Hadopi, etc) aux limites juridiques floues. Or, si on y réfléchit, toutes ces questions relèvent d'abord du renforcement de la coopération policière, judiciaire internationale plus que du renforcement des moyens militaires nucléaires et conventionnels avec l'OTAN.

Soyons clairs : pour construire un monde de paix solide au cours de ce siècle, le premier enjeu est d'identifier non des MENACES mais des DÉFIS, non des RIPOSTES mais des RÉPONSES élaborées. Quelques exemples :
- le défi, c'est la démilitarisation des relations internationales et non la menace du terrorisme et des « états-voyous ». Le chercheur Leo Cendrowitcz rappelle que c'est lorsque certaines situations (fondamentalisme religieux - Iran - Iraq - Afghanistan, autoritarisme étatique -Corée du Nord, activisme islamique - Hamas - Hezbollah, voire piraterie - Somalie) "sont associées au risque nucléaire que la menace prend une ampleur terrifiante" : cela démontre que l'élimination des armes nucléaires acquière ainsi aujourd'hui, une nouvelle pertinence..

Le deuxième grand enjeu de ce siècle est d'apprécier l'évolution du monde et de la mondialisation vers plus d'interdépendance, de coopérations « obligées ». Là encore, les dirigeants des grandes puissances tentent de trouver des solutions biaisées : elles s'appellent aujourd'hui G20, G8 et autres « groupes de travail » sans légitimité, sans transparence et contrôle démocratique.
- le défi, c'est la démocratisation des relations et des institutions internationales. Cela suppose de ne pas « chicaner » dans les efforts pour, d'un même mouvement, SOUTENIR et RÉFORMER en profondeur l'Organisation des Nations unies. Le renforcement du G8 et du G20 serait, à l'inverse, le renforcement des logiques inégalitaires entre puissances, donc le maintien des causes de l'instabilité mondiale. Les conceptions du président Sarkozy sont néfastes à ce sujet. Il est urgent d'agir pour que l'Europe joue un rôle de "puissance positive" au service du renforcement du droit international et des Nations unies, au lieu d'espérer en faire un éléphant supplémentaire dans le magasin de faïences fragiles qu'est notre planète.
- le défi, c'est le développement de l'interdépendance, de la coopération, du développement, de la justice et de la solidarité dans le monde, ce n'est pas l'épouvantail brandi de la crise économique et de la "mal-gouvernance", prétexte à tous les "ajsutements" du FMI... La réalisation des Objectifs du Millénaire (pour l'éradication de la pauvreté dans le monde) devient un objectif central et non l'attribution sans contrôle de centaines de milliards de dollars aux banques si l'on veut vraiment renforcer la sécurité internationale commune !

Le troisième enjeu est celui de l'élargissement de la démocratie et de la participation des citoyens/citoyennes du niveau local et national, au niveau des institutions internationales. Qui peut porter les défis du siècle et construire une nouvelle sécurité, forcément GLOBALE dans son approche des problèmes et HUMAINE dans les priorités qu'elle se donne, sinon les forces démocratiques chez tous les peuples de la terre ? Les événements populaires qui se sont déroulés en Tunisie et en Égypte, et ailleurs, montrent que des évolutions profondes traversent les opinions dans un nombre croissant de pays : ne soyons pas timides devant l'extension de la démocratie et de la participation des peuples !
La manière d'élaborer et de mettre en oeuvre les réponses à ces défis, au travers de la participation des peuples, fait partie de la solution et de la révolution nécessaire dans les relations internationales. Le déroulement de ces événements, la place prise par les nouveaux "réseaux sociaux" montre qu'il convient de ne pas être « frileux » devant les nouveaux débats sur l'évolution de concepts comme celui de « souveraineté nationale », des notions comme celles « d'intérêts vitaux », « d'indépendance nationale », « d'état-nation » dans une évolution vers ce que d'aucuns appellent un « état-monde » (notion nécessitant aussi le débat).
Dans cette lutte pour gagner les opinions publiques, développer la démocratie à l'échelle internationale, le défi central, finalemenent, n'est-il pas de promouvoir une véritable "révolution culturelle", celle de la généralisation d'une Culture de la paix dans les intelligences des hommes et femmes de notre planète et ne plus assister parfois passivement à la résurrection des affrontements d'une "guerre des civilisations". Promouvoir la Culture de la paix, c'est d'abord faire triompher la conception et la réalisation d'un nouveau "Droit humain à la paix" et, en plus, avoir une attitude d'éducation et de formation des intelligences active et volontaire. C'est poser le postulat de l'engagement, non seulement des institutions et structures, mais des citoyens et citoyennes eux-mêmes, non seulement à leur échelle locale, mais à l'échelle de leur planète.

L'alternative me semble assez claire. Les défenseurs d'une ordre mondial inégalitaire, dominé par les oligarchies financières et économiques, voudraient présenter ce siècle comme inquiétant, menaçant, nécessitant de nouvelles militarisations, de nouveaux murs ou de nouveaux boucliers... Le 21e siècle au contraire, peut être un siècle de défis humains à relever, de développement des potentiels et des intelligences à stimuler pour créer un monde paix et de justice : cela ne se fera pas sans efforts, luttes, avancées et revers. Mais, c'est un engagement à la mesure des attentes de la jeunesse du monde !
21/02/2011


lundi 14 février 2011

Culture de paix et/ou action pour la paix (4 et fin).

La définition et la promotion du concept de Culture de paix ont été un formidable appel d'air pour renouveler et donner une nouvelle vigueur à la lutte pour la paix : celle-ci ne se définit plus seulement "en creux", en lutte CONTRE la guerre, mais aussi en lutte POUR une paix durable et juste, POUR de nouvelles valeurs. De la lutte pour un développement durable à celle pour l'éducation à la paix, l'égalité des genres, ce sont les contours d'une nouvelle civilisation mondiale qui sont esquissés. Mais en promouvant un concept global qui embrasse une bonne partie des champs d'action sociétaux, le concept de Culture de paix porte un risque pernicieux : celui de brouiller ou de diluer éventuellement pour les mouvements de paix, leurs objectifs spécifiques d'action pour la paix, en une action tous azimuts brouillonne et finalement peu efficace.
En un mot, un mouvement de paix doit-il porter toutes les actions englobées dans le Programme d'action pour une Culture de paix : développement, éducation, genre, information, droits humains, etc.. ?
Je pense que non. Chaque acteur de la Culture de paix doit, me semble-t-il, d'abord assumer son "champ de responsabilités", donc pour un Mouvement de paix, dire : "non à la guerre, oui à une paix juste et durable, oui à la prévention des conflits, oui au désarmement et à la démilitarisation, oui à une éducation à la culture de paix".
Dans la nouvelle décennie qui s'ouvre, deux grands défis spécifiques me semblent ouverts à l'action des mouvements de paix : celui de l'élimination complète des armes nucléaires au travers de la signature d'une Convention mondiale d'abolition et celui de l'émergence et de la mise en place d'un Droit humain à la paix. Dans les deux cas, l'action persévérante de groupes d'ONG a permis aujourd'hui de disposer de textes fiables et pertinents. La Convention d'abolition des armes nucléaires a été mise au point par les juristes anti-nucléaires et est soutenue par les réseaux Abolition 2000 et ICAN (Campagne internationale pour l'abolition des armes nucléaires) ainsi que le réseau "Mayors for peace" et commence à être officiellement soutenue par une majorité de pays aux Nations unies.
La Convention pour un Droit humain à la paix a été élaborée par un groupe de juristes espagnols, sous l'impulsion de l'ancien directeur de l'UNESCO, Federico Mayor. Elle a été présentée officiellement en décembre dernier et soutenue par le réseau AIEP (Association internationale des éducateurs à la paix).
Avec ces grands objectifs, la lutte pour la paix peut faire des progrès décisifs d'ici 2020. Il est clair que si le Mouvement de paix n'impulsait pas ces actions spécifiques pour la paix, personne ne le ferait à sa place, et s'il n'y a pas action sur ce sujet, il n'y aura pas de culture de paix. Par contre du fait de sa sensibilité, de son rôle dans la naissance et la promotion du concept de culture de paix, les mouvements de paix doivent être des "éclaireurs", des "illuminateurs" de culture de paix pour aider à rendre plus visibles les connexions entre paix et développement, paix et droits humains, paix et égalité des genres, paix et diffusion d'une information participative.
Le problème n'est pas d'aller VERS les organisations ou coalitions de développement, de coopération, de solidarité, de droits humains, etc.. et de participer à leurs actions ou d'intégrer celles-ci, ni pour elles de venir simplement soutenir l'action des mouvements de paix, mais de construire ENSEMBLE un Mouvement mondial pour la culture de paix. Le projet de construire un mouvement rassemblant tous les acteurs qui oeuvrent aux différents domaines de la Culture de paix, quel que que soit cette fois-ci leur champ d'action et quelle que soit leur place dans la société mondiale (ONG, élus, États, institutions internationales) a été, dès le début, au coeur de la pensée des promoteurs de la Culture de paix. Pendant cette première décennie, l'accent a été mis, forcément, sur la diffusion et la promotion des concepts de la culture de paix. Aujourd'hui, dans les bilans réalisés tant par l'Assemblée générale des Nations unies que par les ONG, se retrouve l'idée qu'il faut maintenant passer à la construction de ce Mouvement mondial qui pourra donner toute sa forme et sa lisibilité à l'action généralisée pour une Culture de paix.
Dans ce cadre, les mouvements de paix ont la responsabilité d'être parmi les chevilles ouvrières de la construction de ce mouvement mondial de la culture de paix, pour qu'il prenne toute son ampleur et englobe bien toutes les dimensions de ce concept. Je crois également que, dans ce contexte général, les mouvements de paix et les citoyen-nes qui s'y investissent peuvent être également des porteurs et des "passeurs" de nouvelles pratiques "culturedepaix-istes", riches de militantisme, de tolérance, de non-violence active. Les comportements observés dans les événements récents de manifestations populaires en Tunisie ou en Égypte montrent que des évolutions des comportements tant collectifs qu'individuels ne sont pas forcément des utopies aussi inaccessibles que cela.
Notre série de réflexions sur le bilan, les enjeux de la culture de paix en 2011 se termine (provisoirement ici. Nous reviendrons dans un prochain billet sur des sujets plus "classiques", notamment sur le désarmement à la Conférence de Genève.
14 février 2011



mardi 8 février 2011

Culture de paix : information participative... comment ? (3)

Une des dimensions les plus méconnues de l'action pour une culture de la paix est celle visant à "soutenir la communication participative et la libre circulation de l’information et des connaissances"(point 7 du Programme d'action pour une Culture de la paix)). Il y a un accord général sur les grands principes : la liberté de la presse et la liberté de l’information et de la communication, les mesures concernant le problème de la violence dans les médias, y compris internet, le rôle que devraient jouer ceux-ci dans la promotion d’une culture de la paix. Mais la réflexion n'est pas toujours poussée sur les outils (et les démarches) permettant une utilisation démocrative et participative de l'information. On reconnaît aujourd'hui l'influence grandissante des réseaux sociaux, du genre Facebook, des blogs pour répandre des idées progressistes même dans des pays à la démocratie rétrécie comme en Tunisie ou en Égypte. L'influence d'internet avait commencé d'être relevée dans le développement du mouvement anti-guerre d'Irak aux USA en 2002-2003. L'influence des réseaux sociaux a les limites de leur caractère mercantile : pillage des données personnelles au bénéfice des sollicitations publicitaires notamment... Par contre, on parle peu d'un autre grand acteur potentiel de démocratisation et de partage qui est constitué par le mouvement des "logiciels libres" (les logiciels sont les programmes qui font fonctionner vos ordinateurs).
Qu'est-ce que c'est ? Pour comprendre la situation d'aujourd'hui : imaginons un monde où les tartes aux fruits ne sont disponibles que toutes prêtes et payantes ; où il n'y a pas de recettes de tarte aux fruits disponibles donc impossible d'en faire à la maison ; où personne ne peut ou souhaite obtenir les recettes. Ce monde existe : c'est le monde du logiciel propriétaire depuis le début des années 80, tel que le représente Microsoft avec Windows, Internet Explorer, Word, etc...
Un autre monde existe pourtant et se développe : c'est celui des tarte aux fruits avec la recette disponible, et le droit de partager gratuitement sa tarte avec son voisin. C'est le monde des logiciels libres. Le fondement même du logiciel libre repose sur un esprit de coopération entre utilisateurs, de partage du savoir, pour enrichir et faire progresser le logiciel. Celui-ci permet ainsi une réelle appropriation citoyenne de l'informatique, rend les utilisateurs autonomes, indépendants et les éloigne des impasses technologiques, alors qu'aucun éditeur propriétaire n'y a intérêt.
Le monde du logiciel libre et le monde associatif ainsi que la communauté qui promeut une culture de paix ont de nombreuses valeurs communes (partage, volontariat, bénévolat) et notamment une certaine éthique du partage de la connaissance. Ces valeurs sont bien celles de "la communication participative et de la libre circulation de l’information et des connaissances" cité plus haut. De plus, utiliser des Logiciels Libres est une démarche éthique sous l'angle de la volonté d'utiliser des logiciels réalisés avec l'objectif de créer un bien commun dans l'intérêt général, et non pas des logiciels créés pour servir des intérêts privés.
Dans les zones en reconstruction, comme l’Afghanistan ou l’Irak, le PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement) forme les fonctionnaires locaux aux logiciels libres et à Linux. Les logiciels libres stimulent des secteurs pour lesquels il n’y a pas d’argent mais qui sont essentiels pour les pays en voie de développement : administration publique, éducation.. Au delà de l'aspect financier, c'est une éthique du partage de la connaissance qui est en jeu.
De plus, la démarche d'engagement collectif au service de l'amélioration des logiciels, place les individus face à leurs responsabilités. Chacun est garant de la réussite de la communauté libre et responsable de ses échecs. Mais paradoxalement, alors que le monde du logiciel libre et le monde associatif ont de nombreuses valeurs communes, les logiciels libres y sont peu diffusés, par méconnaissance, craintes ou ... manque de temps.
Alors qu'ajourd'hui, pour prendre des comparaisons simplistes, une masse de consommateurs fait l'effort de se tourner vers des produits sans OGM, issus si possible du commerce équitable ou de circuits courts (AMAP), voire de l'agriculture biologique, il n'en est pas de même dans l'approche de l'utilisation de l'informatique. Il n'est pourtant pas plus difficile pour un utilisateur de Windows de commencer par remplacer Internet Explorer par Firefox, Outlook express par Thunderbird, Word et Excel par OpenOffice avec des résultats équivalents, si ce n'est supérieurs, que de choisir un produit issu du commerce équitable, et, de plus, l'alternative est gratuite au lieu d'être payante ! Et l'étape suivante, le remplacement de Windows par Linux devient de plus en plus aisé (voir le site de l'APRIL).
Comme on imagine de plus en plus mal un militant de l'environnement consommer de la "mal-bouffe", on devrait ne plus voir aussi fréquemment un militant pour un autre monde de paix et de solidarité travailler avec des outils informatiques fermés, "propriétaires" alors que les alternatives participatives existent.
La problématique de l'adéquation entre une information participative et la nature des outils pour la développer, entre les buts affichés et les engagements personnels des individus sont au coeur du débat sur la signification profonde d'une culture de la paix qui marrie à la fois engagement collectif et individuel.
Nous terminerons cette série sur la Culture de paix dans un prochain article sur les rapports culture de paix et mouvements pour la paix.
7 février 2010