vendredi 11 juin 2010

TNP : le débat sur une Convention est ouvert...

 Deux semaines après l'adoption par consensus le 28 mai dernier d'un document final à la Conférence d'examen du TNP, nous pouvons continuer à tirer les enseignements de cet événement, même si le document, dans sa version officielle, n'est pas encore publié.
Le document final comporte deux parties : la première partie, "Examen de l'application du Traité", est transmise sous la seule responsabilité du Président de la Conférence, M. Libran Cabactulan des Philippines. Elle est, comme il l'écrit, "un résumé et un reflet de sa connaissance de ce qui est ressorti de la Conférence et de l'ensemble des points de vue exprimés dans les débats". C'est une évaluation de la mise en œuvre du Traité au cours des cinq dernières années, article par article.
La seconde partie, intitulée "Conclusions et recommandations d'action pour les actions à venir" comprend 24 actions relatives au désarmement nucléaire, (armes nucléaires, assurances de sécurité, essais nucléaires, matières fissiles, autres mesures) ; 24 actions relatives à la non-prolifération nucléaire (rôle de l'Agence internationale de l’énergie atomique, importance du Protocole additionnel, respect des obligations de non-prolifération) ; 18 action concernant les usages pacifiques de l’énergie nucléaire (droit à l'accès à l'énergie nucléaire suivant l'article IV, renforcement des contrôles sur les exportations de technologies). Enfin, un texte spécifique concerne le Moyen-Orient, en particulier la mise en œuvre de la résolution de 1995 sur l'établissement d'une zone sans armes de destruction massive au Moyen-Orient.
Ce dernier texte sur le Moyen-Orient a dominé l'arrière-plan de la Conférence et a pesé sur son issue positive alors que la partie consacrée au désarmement nucléaire dans le texte final est plus faible et ne reflète pas les divergences profondes, voire les affrontements qui se sont déroulés. Si tous les points de friction sur le désarmement ont été "rabotés" et ramenés au niveau du texte de la Conférence de 2000, il faut noter quelques originalités qui font que cette Conférence 2010 sera considérée comme importante malgré tout. Je pense que le premier fait à retenir est qu'une majorité de pays a fait référence pour la première fois de l'hstoire du TNP dans leurs interventions, et même dans leurs réflexions ou stratégies, à une Convention d'abolition des armes nucléaires.
Le second élément de réflexion est que les pays nucléaires ont bataillé dur pour édulcorer le texte dans sa partie désarmement et qu'ils ont réussi en partie leur objectif. Les compromis qui se sont faits l'ont été de plusieurs manières. Certains l'ont été en exprimant en terme neutre de constations de propositions : il en est ainsi pour une Convention d'abolition (I-B-iiii) : "La conférence NOTE la proposition en cinq points du Secrétaire Général des Nations unies qui propose inter alia d'examiner des négociations sur une convention sur les armes nucléaires ou un accord sur un ensemble d'instruments juridiques séparés se renforçant mutuellement, et basés sur un système de vérification renforcé". Symétriquement, la question controversée de la généralisation du Protocole additionnel de l'AIEA s'est traduite par cette formule indirecte (II- Action 28) : "La Conférence ENCOURAGE toutes les parties qui ne l'ont pas encore fait à conclure et à faire entrer en force les protocoles aussi vite que possible...". D'autres ont été obtenus en se référant aux déclarations d'Obama à Prague déjà validées par le Conseil de sécurité en septembre 2009, ou en prenant appui sur l'engagement "sans équivoque" accepté par les puissances nucléaires en l'an 2000. La déclaration contient également de fortes références au CTBT et à la nécessité de sa mise en oeuvre, contrairement à 2000. Par contre, les références au Traité d'interdiction des matières fissiles ("cut-off") sont moins pressantes du fait de l'opposition du Pakistan (et de la Chine), et des divergences sur la prise en compte ou non des stocks existants.
L'adoption d'un document final, même non entièrement satisfaisant, est en soi un succès politique, un échec aurait avantagé ceux qui ne veulent pas d'un monde dénucléarisé. Un élément décisif a été constitué par le fait que le président Obama avait besoin d'un succès lui permettant la ratification des accords SALT ainsi qu'une éventuelle ratification du CTBT. S'il n'avait pu obtenir de texte final, il aurait été en difficulté pour poursuivre sa politique de détente militaire et de passage d'une politique de domination par la force comme l'exerçait G. Bush à une politique de domination plus politique (la "puissance douce"). De nombreux États étaient conscients de cet enjeu car ils soutiennent ce nouveau cours de la politique US et ont fait des efforts pour aider aux compromis.
Même si les projecteurs de l'actualité sont braqués aujourd'hui sur le Moyen-Orient, l'histoire retiendra sans doute que cette Conférence a mis en évidence une fracture profonde dans la communauté internationale sur deux problèmes centraux : le rôle des armes nucléaires et le niveau des garanties qui doit les accompagner (c'est la question de l'universalisation du Protocole additionnel de l'AIEA), la place d'un processus multilatéral pour éliminer les armes nucléaires (c'est le principe d'une Convention d'abolition). Un des enseignements majeurs aura bien été l'incapacité des puissances nucléaires à empêcher l'émergence de la notion de Convention d'abolition même s'ils ont réussi à limiter les autres engagements de désarmement au niveau de ceux de la Conférence de 2000. Certes, la référence à la Convention dans le texte est faible MAIS elle a une double importance : elle installe le concept de Convention dans le discours officiel du TNP et donc elle enlève la fausse excuse à certains gouvernements disant, "si on discute de la Convention, on sort du TNP et on risque de l'affaiblir" : parler de la Convention aujours'hui, c'est parler aussi du TNP ! En même temps, il est clair aujourd'hui  que le débat sur une Convention d'élimination est vital, pas seulement pour le désarmement nucléaire et l'application de l'article VI, mais parce que c'est la condition pour renforcer les garanties de vérification comme les protocoles additionnels et pour aller à une sécurité nucléaire véritable car elle inclurait forcément ces dimensions.
Cela signifie que cela permettrait sans doute d'aborder de manière positive et créative cette question qui reste toujours en suspens, vingt ans après la fin de la Guerre froide, qui est celle de construire de nouvelles relations internationales correspondants réellement à ce monde post-Guerre froide, un nouveau concept global liant meilleure sécurité collective ET abolition des armes nucléaires.
Ce serait le moyen de surmonter l'opposition artificielle des discours : "éliminons d'abord et la sécurité collective s'améliorera" d'un côté et "améliorons la sécurité collective et nous éliminerons ensuite" de l'autre. Il y a là, certainement, encore matière à réfléchir et échanger, tant au sein des ONGs et des chercheurs qu'au sein des diplomates pour approfondir tout ce que peut apporter une négociation élargie d'une Convention d'abolition des armes nucléaires.
11 juin 2010


mercredi 2 juin 2010

Dépenses militaires mondiales : le record de l'indécence...

 Les dépenses militaires mondiales ont atteint de nouveaux records en 2009 selon le rapport annuel de l''Institut international de recherche pour la paix de Stockholm (Sipri) : 1.531 milliards de dollars ! L'Institut a constaté une hausse des dépenses militaires dans 65 % des pays pour lesquels il a pu se procurer des chiffres. Les plus puissants ont donné le mauvais exemple : 16 des 19 pays du G20 ont augmenté leurs dépenses en termes réels.
Les Etats-Unis, toujours largement les premiers en terme de dépenses militaires, ont investi 661 milliards de $ dans ce secteur l'an dernier, soit 47 milliards de plus qu'en 2008.
Ne disposant pas du chiffre officiel pour la Chine, l'Institut avance une estimation de 100 milliards de $. La France est troisième de ce classement avec 63,9 milliards de dollars. "Les chiffres démontrent aussi que pour les grandes ou moyennes puissances, comme les Etats-Unis, la Chine, la Russie, l'Inde et le Brésil, les dépenses militaires constituent un choix stratégique à long terme auquel elle s'attachent même en période de difficultés économiques", selon le responsable au Sipri de la recherche sur les dépenses militaires, Sam Perlo-Freeman. Ces stratégies sont liées à une recherche à long terme d'influence mondiale ou régionale.
Aux États-Unis, les dépenses militaires ont éclaté sous la présidence de George Bush : + 63 % de 2000 à 2008. malgré les annonces du président Obama de supprimer certains programmes (qui ont parfois été rétablis par le Congrès). Il y a poursuite de l'augmentation des dépenses militaires : le but fondamental d'assoir la suprématie américaine sur un large spectre de moyens militaires n'est pas abandonné.
Les dépenses militaires ont augmenté dans toutes les régions du monde, en dehors du Moyen-Orient.
La moitié de ces dépenses sont concentrées sur le continent américain : 738 Mds de $ dont 661 mds pour les seuls États-Unis. Sur le continent sud-américain, le Brésil dépense le plus (26,1 Mds de $ et 11e rang mondial avec une hausse de 16 %. À noter que le Vénézuela a baissé ses dépenses fortement (- 25 %).
La deuxième région du monde en terme de dépenses est constituée par le continent européen avec 386 Mds de $ dont 326 en Europe de l'Ouest et Centrale et 60 en Europe de l'Est. C'est le Royaume-Uni (58,3 Mds) qui a le plus augmenté ses dépenses militaires en valeur absolue, suivi de la Turquie et de la Russie (53,3 Mds). À noter que l'Allemagne (45,6 Mds) et l'Italie (35,8 Mds) maintiennent un haut niveau de dépenses militaires. Globalement, la crise économique a ralenti fortement la hausse des dépenses militaires en Europe de l'Est, à la différence des années précédentes : de 2000 à 2009, leurs dépenses militaires avaient doublé ! plus 108 %, augmentation due pour l'essentiel aux dépenses d'ajustement de ces pays pour entrer dans l'OTAN ce qui les avait obligé à amener leur niveau à 2 % du PNB...
La troisème région du monde en matières de dépenses militaires et l'Asie-Océanie : 276 Mds de $ dont 210 Mds de $ en Asie de l'Est. les dépenses chinoises sont estimées aux environ de 100 Mds de $, celles du Japon à 51 Mds, de l'Inde à 36,3, de la Corée du Sud à 24, de l'Australie à 19 Mds de $.
Les pays du Moyen-Orient ont dépensé 103 Mds de $ dont 41,2 pour la Arabie Saoudite. Enfin l'Afrique représente "seulement" 27 Mds de $.
Les opérations de maintien de la paix "multilatérales", notamment en Afghanistan, ont augmenté en termes de personnel et de coûts pour, elles aussi, atteindre de nouveaux records, selon le Sipri. Au total, 54 de ces opérations de maintien de la paix se sont déroulées dans le monde (dans 34 régions) au cours de l'année passée pour "un coût connu" et jamais atteint jusque-là de 9,1 milliards de $ (7,4 milliards d'€). Il faut malgré tout rapporter cette somme aux dépenses militaire globales des principaux pays. À noter que le nombre (stable) de conflits qualifiés de "majeurs" est de dix-sept.
Ces chiffres peuvent donner le vertige comme l'on fait, il y a quelques mois, les montants énormes des emprunts accordés aux banques. La crise économique n'a globalement pas affecté ces dépenses militaires, en dehors de quelques pays d'Europe de l'Est. Cela signifie que les mesures d'austérité prises jusqu'à présent ont visé d'autres secteurs publics de biens et services, comme le montre la situation de la Grèce, (évoquée dans un autre article de ce blog).
On pourrait également rapprocher cette santé insolente des dépenses militaires de la difficulté à atteindre les "Objectifs du millénaire pour le développement" visant à diminuer la pauvreté dans le monde de 50 % d'ici 2015. Selon les études de l'ONU, le financement extérieur (notamment avec l'aide publique au développement) pour les réaliser a été estimé à environ 135 Mds de $ par an jusqu'en 2015 (moins de 10 % des sommes évoquées). "Le pain ou les canons", ce vieux slogan rappelle que nous sommes là au coeur de choix de société fondamentaux...